Marie-Nicole
Lemieux, un chant dans la nature
L'époque où le Festival
de Lanaudière présentait chaque été des opéras
en version de concert est désormais révolue, mais les passionnés
d'art lyrique peuvent toujours y entendre des récitals où
alternent extraits d'opéras, lieder et mélodies. Chaque année,
l'enchantement est au rendez-vous et de grands noms rehaussent la qualité
de l'événement. Cette saison, Deborah Voigt, Ben Heppner,
Jennifer Larmore et Mary Dunleavy s'y produisent, mais d'abord Marie-Nicole
Lemieux dans ce récital contrasté. Son chant, mêlé
le soir au dernier refrain des merles et à la stridulation des criquets
qui s'éveillent pour la nuit, est en étroite symbiose avec
la nature qui l'entoure. L'amphithéâtre de Lanaudière,
à une cinquantaine de kilomètres de Montréal, permet
en effet ce contact. Il se démarque d'ailleurs par de remarquables
qualités acoustiques. Situé au bas d'une pente, le chapiteau,
ouvert à l'arrière et sur les côtés, loge facilement
2000 personnes tandis que la pelouse extérieure peut en accueillir
au moins autant jusque dans les hauteurs.
L'Orchestre Métropolitain du Grand
Montréal (OM), appelé à remplacer l'Orchestre Symphonique
de Montréal dont les musiciens sont en grève depuis le mois
de mai, donne une prestation digne d'éloges. Même s'il n'a
pas le souffle et le panache de son illustre voisin, l'OM se distingue
par sa ferveur et la sincérité de son travail. JoAnn
Falletta (1) apporte souplesse et vigueur à l'ouverture du
Corsaire
et à la bacchanale de Samson et Dalila sans en sacrifier
les moments de poésie. Elle fait oublier l'académisme des
Danzas Fantasticas de Turina en accentuant leurs aspects évocateurs.
C'est toutefois dans l'extrait des Scènes alsaciennes de
Massenet qu'elle permet à l'orchestre seul de trouver ses plus belles
inflexions ; nous éprouvons autant d'émotion à en
saisir la sensualité qu'il en met à l'exprimer.
Pour la partie vocale du concert, Marie-Nicole
Lemieux est dans une forme éblouissante. Aucune faiblesse ne vient
entacher son programme. Nous la connaissons davantage par ses prestations
dans l'univers baroque, mais elle a le timbre et les moyens idoines pour
aborder un répertoire bien plus vaste et qui nous amène jusqu'au
XXe siècle. Les deux extraits d'opéras français
révèlent une voix plus ronde et plus chaleureuse que jamais.
Techniquement plus exigeant, Mon coeur s'ouvre à ta voix
la montre parfaitement à l'aise sur toute l'étendue de cette
page célèbre, du si bémol grave au si bémol
aigu, dont elle maîtrise la ligne de chant de façon impeccable.
A la fin de la soirée, elle le donnera en rappel avec beaucoup plus
d'émotion, à la mémoire du ténor québécois
Richard Verreau, récemment décédé. Souhaitons
maintenant qu'elle incarne le rôle sur scène.
Avec les lieder de Gustav Mahler
composés sur des poèmes de Friedrich Rückert, elle évolue
en territoire connu. L'enregistrement réalisé en 2000 après
son premier prix au Concours Reine Élisabeth de Belgique, permet
de mesurer le chemin parcouru. Accompagnée au piano par Daniel Blumenthal,
elle livrait une exécution spontanée, mais quelque peu superficielle.
Ici, avec l'orchestre, tout devient lumineux. Elle intériorise cette
musique et la pensée qui s'en dégage avec beaucoup plus de
profondeur. D'impeccables crescendos confèrent un relief saisissant
à l'expression dramatique de certains lieder, alors que son timbre
prend ailleurs une coloration et une ampleur inattendues.
Dans les Sept chansons populaires
espagnoles de Manuel de Falla, la voix de Marie-Nicole Lemieux se love
au soleil et aux rythmes de l'Espagne. La beauté élégiaque
de ce cycle, son entrain, son pétillement et la fureur contenue
dans la dernière chanson en font un grand moment d'émotion.
Le grain du contralto prend ici une teinte chatoyante. Au sommet de son
art, l'artiste déploie une palette de nuances infinies qui épouse
les moindres modulations du texte. Sa personnalité s'affirme de
plus en plus, comme le montre ce soir un abattage ébouriffant.
Nous avons déjà souligné
la solide exécution du chef et de l'orchestre dans les parties symphoniques
du concert. Le soutien de la soliste est tout aussi appliqué. Notons
toutefois qu'à l'extrême fin du quatrième lied
de Mahler, les musiciens couvrent complètement la chanteuse. Un
détail minime dû sans doute à l'exaltation des musiciens.
Réal BOUCHER
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(1) JoAnn Falletta
est la directrice musicale de l'Orchestre Philharmonique de Buffalo et
de l'Orchestre Symphonique de Virginie.