L’Athénée
renoue le temps d’une soirée avec ses lundis glorieux - quand défilaient aux
alentours des années 80 sur l’une des plus belles scènes parisiennes les plus
grandes voix - dans un répertoire de son âge et qui convient à sa luxueuse
intimité : la mélodie française des débuts du vingtième siècle. Le théâtre se
transforme spontanément en salon. Au diapason, Marie-Nicole Lemieux abandonne
sa candeur et sa blondeur canadiennes pour revêtir les atours d’Yvette
Guilbert, cheveux roux, robe longue noire, écharpe à plume ; Il ne manque que
les gants. Les lumières s’éteignent ; l’air s’imprègne de parfums rares, de
chagrins secrets, d’aveux étouffés ; l’heure devient exquise. A un point tel
qu’elle durera près de cent minutes, au lieu des soixante habituelles, sans
entracte avec pas moins de cinq rappels.
Contralto ou mezzo-soprano ? La question se pose à l’issue de ce récital où la
tessiture souvent s’éloigne des rivages sombres qui appartiennent à la plus
grave des voix de femme. La réponse a peu d’importance. Seuls comptent la
chaleur du timbre, la courbe du chant, son ampleur naturelle, ses sonorités
vibrantes et la manière dont l’instrument épouse, plus que le texte, l’esprit
de ces poèmes.
Car si
la diction chancelle de temps à autre; si les mots s’enrobent parfois de
coton, l’intelligence de l’interprétation rachète, ô combien, les quelques
écarts de diction.
Les
pièces les plus dramatiques y trouvent en premier leur compte : la souffrance
résignée de la septième chanson de Clément Marot (« Du confict en douleur »),
le dialogue tragique de la dernière mélodie des Fêtes galantes
(« Colloque sentimental »), deux moments intenses et bouleversants. Daniel
Blumenthal démontre alors son affinité avec les musiques de Georges Enesco et
Claude Debussy. La mélancolie délicate de Reynaldo Hahn, le lyrisme ardent
d’Ernest Chausson le révèlent moins inspiré.
Mais la
palette de Marie-Nicole Lemieux ne se limite pas aux affects. La bonne humeur,
inhérente aux natures généreuses, souvent affleure. Le sourire, le rire même,
surviennent quand par exemple elle s’adresse « Aux damoyselles paresseuses d'escrire
a leurs amys » (troisième chanson de Clément Marot).
D’autres sentiments aussi, d’autres nuances complexes sont exprimés chaque
fois avec une justesse admirable. Jusque dans les silences, quand elle se
tait, que le piano déroule ses rubans de notes, le visage merveilleusement
expressif continue de chanter.
Tant de
richesse confond. Au moment des saluts, une spectatrice éperdue de
reconnaissance, s’écrie « Merci !». « C’est moi qui vous remercie » répond la
cantatrice, avec une voix de petite fille, curieusement haut perchée,
émouvante par sa simplicité. « Vous êtes trop gentil… Il est difficile de dire
non », s’excuse-t-elle encore, tandis qu’inlassablement le public frappe dans
ses mains, avant d’ajouter confuse : « Ca me fait beaucoup de bien ». Ce
n’est, Madame, qu’un juste retour des choses.
Christophe Rizoud