Après Cardillac il y
a quelques semaines, et avant L’Amour des Trois Oranges en décembre, l’Opéra
de Paris continue son exploration du répertoire de l’entre-deux-guerres avec
une production clef en mains du Théâtre Mariinski du Nez, opéra de
jeunesse de Dimitri Chostakovitch.
Le compositeur russe n’a
effectivement que 21 ans lorsqu’il compose cet ouvrage, largement expérimental
dans la forme, mais témoignant d’une extraordinaire maîtrise de l’écriture
musicale. Et c’est bien cette richesse musicale qui fait tout le prix de cet
ouvrage au scénario improbable.
Inspiré de Gogol, et de
quelques autres sources russes, Le Nez nous compte les tribulations du
major Kovalev à la recherche d’un nez qui a choisi la liberté. Il s’agit là
d’une farce satirique.
Disons tout de suite que ce
côté critique, passé à la moulinette délirante de Chostakovitch-librettiste,
nous échappe largement d’autant que la société que Gogol dépeint est
antérieure de près de 100 ans à la composition de l’ouvrage : seule la
corruption du policier nous amuse, sans doute parce qu’elle est de toutes les
époques.
En ce qui concerne le côté
burlesque en revanche, on est servi : un orchestre en folie (on notera en
particulier le premier interlude, pour percussions seules) recourant à des
instruments inusités sur les scènes lyriques (balalaïka, domra ou l’étonnant
flexatone à la sonorité de scie musicale) ; des chanteurs soumis à des
tessitures incroyables (le gendarme culmine au mi-bémol !) ; un découpage
hyperdynamique permettant à 70 personnages de s’exprimer durant moins de 2
heures de musiques (faites le calcul, ça ne fait pas beaucoup par chanteur !).
La mise en scène pleine
d’invention de Yuri Alexandrov joue à fond cette carte du délire permanent,
imposant une agitation quasi mécanique sur scène. Le décor est du même métal :
a priori, une représentation en dur d’une cours d’immeuble vue d’avion, mais
qui sait se déformer et user de trappes pour tromper les repères visuels du
spectateur (la première apparition du gendarme est assez confondante : un toit
d’immeuble s’ouvre comme un couvercle pour laisser place à une marionnette
géante affublée de la minuscule tête de l’interprète).
Certains détails néanmoins
restent difficilement compréhensibles, telle cette scène où le Nez, grimé en
Napoléon premier, sort d’un cercueil.
On passe donc une bonne
soirée, mais on ne peut s’empêcher de trouver toute cette agitation un peu
vaine ; sans doute conscient des limites d’une telle démarche, Chostakovitch
reviendra à davantage de structuration dans ses ouvrages ultérieurs.
L’ouvrage est interprété par
la troupe du Théâtre Mariisnky, la distribution précise étant réservée aux
spectateurs qui achètent le programme ou à ceux qui arrivent à trouver une des
rares affiches du jour.
Le niveau vocal est au mieux
correct.
Dans le rôle omniprésent de
Kovalev, Vladislav Sulimsky manque franchement de projection et comme beaucoup
ce soir là, il est régulièrement couvert par l’orchestre.
On pardonnera quelques
problèmes d’intonation aux différents ténors compte tenu de la difficulté de
leurs rôles : je ne suis pas certain que Yuri Popov atteigne vraiment son mi
bémol, mais ça n’a guère d’importance.
Moins exposés mais tout
aussi remarquables, Vadim Kravets et employé du journal et Zhanna Dombraskaya
très en voix en fille de Mme Podtochine.
Bien plus en retrait en
revanche, le docteur d’Alexander Morozov qui fait un peu honte à la réputation
des grandes basses russes.
C’est bien sûr de
l’orchestre que nous viennent nos plus grandes joies : transportée par
l’énergie de son directeur musical, la formation russe est absolument
flamboyante, brillant de mille couleurs.
Pourtant, le succès public
sera mitigé, le parterre clairsemé se vidant dès après le premier salut,
privant la troupe d’un rappel mérité.
Placido Carrerotti