LA PROMENADE DOUCE-AMÈRE
DE DAME FELICITY...
Voilà plus de trois ans, en
janvier 2002, Felicity Lott, déjà accompagnée de Graham
Johnson, son fidèle pianiste, avait donné au Théâtre
du Châtelet un époustouflant récital, où figuraient
vingt-quatre mélodies de vingt-quatre compositeurs différents,
intitulé "Night and Day, Love songs around the clock", et dont le
DVD a fort heureusement conservé le souvenir (TDK, collection "Voix
de notre temps").
Cette fois, au Théâtre
des Champs-Élysées, le titre fort savoureux "Anges déchus
et épouses vertueuses" laissait augurer d'une soirée tout
aussi délectable...
Et en effet, elle le fut, même
s'il nous a semblé, surtout au début, remarquer une fragilité
accrue dans cette voix pourtant encore radieuse et admirablement menée.
Il est vrai que, contrairement à nombre de ses consoeurs, Lott ne
"triche" pas et continue à chanter dans la tessiture de soprano
qui a toujours été la sienne, avec un médium et un
grave qui sont devenus parfois un peu sourds avec les années, mais
un aigu encore brillant et lumineux. Par ailleurs, force est de reconnaître
que ce programme, pourtant globalement bien composé, comportait
un choix de mélodies un peu moins judicieux que le précédent.
Une première partie plus sombre,
plus amère, nous a offert de grands moments : la délicieuse
mélodie de Haydn, si libertine et mozartienne en diable ; les lieder
de Brahms, Wolf et Schumann ; les trois chants d'Ophélie
de Richard Strauss, superbes et rappelant, si besoin était, quelle
magnifique straussienne cette artiste demeure aujourd'hui encore, sans
oublier, bien sûr, les délicieux "chants traditionnels", en
particulier le fameux "I know where I'm going" qui joue un rôle si
important dans le formidable et rare film éponyme de Michael Powell
(1945).. C'est finalement dans les mélodies de Kurt Weill que Dame
Felicity fut la moins convaincante, surtout "Und was bekam des Soldaten
Weib" sur un texte de Brecht, d'une noirceur très révolutionnaire,
la dernière "Here I'll stay", plus glamour, convenant mieux
à sa douceur et à sa grande féminité.
Changement de ton après l'entracte,
Felicity ayant troqué sa jolie robe noire et bleu pâle, sobre
et raffinée, pour une tenue plus "fofolle", rose "coq de roche"
et emplumée, finalement très en accord avec la deuxième
partie, résolument plus légère, à quelques
exceptions près.
Encore une fois, le charme, le style
si chic et si délicieusement british de l'interprète firent
merveille dans Fauré, Roussel, Duparc, Hahn, Poulenc - sa "Dame
de Monte Carlo" est un véritable must - et dans le fameux Warum
soll eine Frau kein Verhältnis haben ? d'Oscar Strauss, lequel
figurait déjà à l'affiche du récital du Châtelet.
On pourra, par contre, être plus
réservé sur les trois mélodies de Noël Coward,
d'une grivoiserie plus ou moins avouée, mais assez savoureuses pourtant,
et la dernière, de Murray Grand, plutôt drôle, certes,
mais d'un humour un peu lourdingue, à la Benny Hill.
Les trois bis furent à
l'image du programme : un délicieux "Im Chambre séparée"
qui, certes, ne fit pas tout à fait oublier Schwarzkopf, un "Dis-moi
Vénus" de La Belle Hélène outrageusement appuyé
de mimiques inutiles et redondantes - ah ! les trémoussements suggestifs
et la main de la divine Felicity en forme de bec de cygne ! (Certaines
divas ont décidément besoin des conseils d'un metteur en
scène, car Felicity lott ne se livrait pas à ce genre de
simagrées dans la production de Laurent Pelly au Châtelet....)
Mais on pardonnera à Felicity ces dérapages, pour nous avoir
offert en dernier un "Waly, Waly", chant traditionnel harmonisé
par Britten, tout bonnement sublime de douleur nostalgique.
Graham Johnson fut, comme toujours,
le compagnon de route idéal pour ce joli parcours tissé d'humour
et de mélancolie, de cocasserie et de langueurs.
Au bout du compte, malgré ces
quelques réserves, une très bonne soirée !
Juliette BUCH