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NEW YORK
20/10/2007
Annick Massis
© Ken Howard
Gaetano DONIZETTI (1797-1848)
LUCIA DI LAMMERMOOR
Opéra en 3 actes
Livret de Salvatore Cammarano
Tiré du roman de Sir Walter Scott :
The Bride of Lammermoor
Mise en scène, Mary Zimmerman (Débuts)
Décors, Daniel Ostling (Débuts)
Costumes, Mara Blumenfeld (Débuts)
Eclairages, T.J. Gerckens (Débuts)
Chorégraphie, Daniel Pelzing (Débuts)
Lucia, Annick Massis
Edgardo, Marcello Giordani
Enrico, Mariusz Kwiecien
Raimondo, John Relyea
Normanno, Michael Myers
Alisa, Michaela Martens
Arturo, Stephen Costello, (Débuts)
Harpe Solo, Mariko Anraku
Flûte Solo, Trudy Kane
Harmonica de verre, Cecilia Brauer
Direction musicale, James Levine
Chœurs et Orchestre du Metropolitan Opera of New York
Nouvelle production
New York, Metropolitan Opera
20 octobre 2007
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The Massis ‘Appeal ou Lucia rendue au Belcanto…
« Great Opera is Great Theater »…
Peter Gelb
résumait ainsi il y a peu, sa nouvelle politique. En accord avec
le critique du Monde, nous estimons que le public lyrique vient
également (avant tout !) pour écouter de la musique
et du beau chant. Le directeur du Met dans son souci
révolutionnaire, a invité Mary Zimmerman,
personnalité très cotée dans le monde du
théâtre. Grand début, puisqu’il
s’agissait à notre connaissance, d’une
première mise en scène lyrique.
« Who ‘s afraid of Opera ?” …
A l’actif de la scénographe, des collaborateurs formant
une équipe cohérente. L’esthétique du
spectacle est réelle. La transposition vers
l’époque victorienne convaincante et plausible.
Mara Blumenfeld
tire au mieux son épingle de costumière du jeu en
participant à la compréhension psychologique des
protagonistes.
Irréprochables, les éclairages de Gerckens et les décors de Ostling ne dépasseront malheureusement pas les clichés d’une ruineuse production hollywoodienne.
Cela est beau, très beau même parfois, mais
d’où vient cette impression de vide ou de
superficialité?
Il nous semble que Zimmerman n’a pas voulu choquer pour ses
premières noces, un public d’opéra dont on lui
aurait conté les capricieuses et parfois
véhémentes réactions.
A vouloir plaire à tout prix, le metteur en scène finit
par proposer une vision consensuelle, lisse et parfois fort
creuse… La comparaison entre les branchages nerveux des
forêts d’Ecosse et la complexité du système
cérébral humain fonctionne très bien. Par contre,
la présence du fantôme de l’aïeule de Lucia,
n’apporte que peu de choses. L’idée de la photo de
famille à la signature du contrat de mariage frise le ridicule
et ne marche tout simplement pas. Le public oscillant entre dubitative
réaction et esquisse de sourire.
Pour en finir avec la mise en scène, nous conseillons à
Zimmerman de ne pas proposer sa vision à un public italien et de
se mettre autrement à la tâche si elle désire se
faire un nom dans le milieu de l’opéra.
« Show must go on »…
La fête sera pourtant au rendez vous. Aussi incroyable que cela puisse paraître, « Jimmy » Levine dirigeait à cette occasion ses premières Lucia !…
Levine a débuté au Met en 1971 et quelques 2500
représentations plus tard, il offre enfin sa vision de la
partition de Donizetti. Très grande rencontre entre une oeuvre
dont il impose une lecture exhaustive, un chef et une titulaire en
état de grâce.
A son initiative, Mariko Anraku (harpe), Trudy Kane (flûte) et Cecilia Brauer
(harmonica de verre) vont se définir comme trois protagonistes
musicaux de premier ordre en caractérisant la dégradation
psychologique de Lucia.
Pour revenir à James Levine, il réussit le tour de force
de s’imposer en géant en se mettant
intégralement au service du compositeur et de ses
interprètes.
On ne doute pas un seul instant à l’issue de la
soirée qu’il est un des maîtres d’œuvre
du spectacle. Mais il le fait avec une telle discrétion, une
telle humilité ! Levine n’a plus rien à
prouver. Ce qu’il donne à écouter est un pur
bonheur. De la relance nerveuse des récitatifs au soutien sans
faille de ses solistes, d’une palette incroyable de nuances et de
couleurs à un final du I ébouriffant. Il réussit
l’exploit de nous faire redécouvrir des pages
entières d’une des partitions les plus
rabâchées du répertoire.
Enfin, avec James Levine, on emprunte avec évidence le pont entre Donizetti et les primi Verdi qu’il a beaucoup fréquenté.
Côté chant ? L’équipe réunie a
amplement mérité la standing ovation et le tumulte qui
les attendaient dès l’ouverture du rideau final.
Mariusz Kwiecien
© Ken Howard
« Well done, Guys ! »
Mariusz Kwiecien, jeune baryton polonais fait à tout
niveau belle pour ne pas dire forte impression. De très
fière allure en scène, il impose en Enrico un physique
crédible et avantageux. Son jeu n’évite pas
toujours les stéréotypes du jeune chanteur en faisant un
peu trop. Entre les mains d’un vrai metteur en scène, sa
marge de progression est réelle.
La voix est belle, fluide, rythmée, capable de très beaux élans dans des cadences bien soutenues.
Nous avons été rassurés par son répertoire.
Enrico doit pour quelques années encore définir un
aboutissement. Il est à l’heure actuelle un Belcore ou un
Malatesta de premier choix, un Almaviva idéal et on pense
immédiatement à Onegin en découvrant sa voix et
ses qualités.
Kwiecien a assurément un très bel avenir. Il lui faudra
résister à la tentation de surcharger son calendrier.
Enfin, on espère qu’il prendra conscience que sa voix se
suffit amplement à elle même et qu’il est donc
inutile d’élargir un aigu dans le but
d’épater quelque peu la galerie. Son Cruda funesta smania
pêche un peu par cet orgueil tandis qu’il offrira un Il
pallor funesto d’une toute autre qualité musicale, au
contact de sa partenaire. Irrésistible cabaletta pour le Se tradirmi tu potrai
et duo avec le ténor Asthon, si ! très
réussi, ce qui n’est pas gagné d’avance vu la
qualité d’écriture de cette page omise
régulièrement.
John Relyea remplit
également à satisfaction sa tâche. Il est
très agréable d’entendre enfin chanter la partie
ingrate de Raimondo trop souvent reléguée aux restes de
voix de basse fatiguée. Levine laisse entendre
l’intégralité de son rôle dont un Cedi, ah cedi
d’une belle facture, saine et simple. A l’impossible nul
n’est tenu. Relyea ne peut donner à ses interventions un
génie qu’elles ne possèdent pas, par nature
et par écriture. Les pages composées par Donizetti
à l’intention de Raimondo étant les plus faibles
d’une partition foisonnant de merveilles. Son meilleur moment se
définit avant la scène de la folie où son
humanité fait mouche.
Marcello Giorsani
© Ken Howard
« The Big Band Tenor »…
L’omniprésent (l’inévitable ?) Marcello Giordani
est Edgardo. Depuis quelques saisons déjà, le
ténor sicilien est un des piliers du Met. Soucieux de
développer des relations privilégiées avec la
nouvelle direction, Giordani est prêt à se plier à
tous les exercices. Ces dernières semaines ont
démontré à Peter Gelb, sinon sa versatilité
au moins son inconsciente disponibilité, quitte à friser
une ubiquité dangereuse (1). Ce
soir là, Giordani ne se présente pas dans une
fraîcheur vocale évidente. On ne peut enlever au
ténor une belle prestance physique. Grand, lyrique, il forme
avec sa partenaire un couple physiquement bien appareillé. Les
choses se gâtent dès qu’il tente de jouer. Dire que
Giordani est un piètre acteur est encore un acte de
carême. Tous ses déplacements sont inutiles ou à
contre sens. Vocalement, il a pour lui des moyens vocaux réels
et une générosité à toute épreuve.
Les boni s’arrêtent là. Dès ses
débuts, Giordani n’a jamais été un bon
technicien et donc un grand styliste. Il a, depuis quelques saisons,
élargi (dans tous les sens du terme) son répertoire aux
grands Puccini et Verdi. La ligne et l’écriture
d’Edgardo sont autrement plus exigeantes pour ne pas dire
cruelles. Aux côtés d’une sincérité
vocale à souligner et d’une tierce aiguë jamais prise
en défaut, on passera la soirée en compagnie d’un
médium s’enrouant et d’une voix incapable de nuances
ou de phrasés.
Au fil de sa prestation, un Verrano a te cruel en comparaison belcantiste, un Chi me frena in tal momento satisfaisant, un duo avec Enrico constituant son meilleur moment mais un Fra poco a me ricovero
ne pouvant émouvoir tant le chanteur est préoccupé
à éviter un accident, vu sa fatigue vocale.
Stephen Costello
© Ken Howard
« A Star is born ? »…
On relève la bonne prestation de Stephen Costello,
jeune ténor de 26 ans ! Ses quelques phrases en Arturo
suffisent à rendre compte de son potentiel. La question
est désormais jusqu’où peut on utiliser cette
voix ? Le Met qui espère beaucoup en lui, lui offre
l’opportunité d’une date en Edgardo ce 25 octobre.
C’est avec grand intérêt que nous écouterons
la retransmission en direct sur Sirius radio (2).
Costello nous semble être un pur lirico.
Le timbre est très beau, solaire et personnel. Le physique celui
d’un jeune premier. Nous formons des vœux afin qu’il
prenne le temps d’asseoir un soutien parfois encore
hésitant et qu’il résiste à de trop
alléchantes propositions qui en ces soirs de disette vocale, ne
tarderont pas à pleuvoir.
Annick Massis
© Ken Howard
« The unknowed Prima Donna »…
Après avoir passé l’été aux Arènes de Vérone pour ses débuts, Annick Massis marquait son retour au Met (3). Prestigieux début de saison (4) donc et une fois encore dans le rôle de Lucia di Lammermoor, qui l’accompagne depuis plus de dix ans (5).
Nous avions quitté sa Lucia lors de ses débuts à
Vienne en 2005. Visiblement, elle profite de cette nouvelle production
pour revisiter entièrement sa conception scénique du
rôle.
Visuellement, les métamorphoses sont incroyables. Au sommet
d’un métier confondant, la cantatrice s’appuie sur
une économie de gestes d’une efficacité redoutable.
Une démarche, un regard, un port de tête, suffisent
à définir justement son personnage. Merveilleusement mise
en valeur par les costumes de Blumenfeld, Annick Massis nous fait
grâce d’une pseudo révolution lyrique. Ce soir, nous
n’aurons pas droit aux ricanements, aux hurlements d’un
Halloween tout proche ou autre numéro de trapèze sans
filet… Pour cela, elle n’aura pas droit aux abris bus
new-yorkais et à sa figurine dans les céréales
américaines. L’art lyrique ne lui en tiendra pas rigueur.
La révolution d’Annick Massis a un nom : la partition de Donizetti…
Grâce à Levine, mais également avec une des plus
belles voix du moment et une technique superlative, elle va
paisiblement mais avec autorité confier une lecture
mémorable du rôle.
Il est à espérer de tout cœur que la rencontre
artistique entre Levine et Massis ne s’arrêtera pas
là.
Massis est visiblement au sommet de son art et ce soir, elle va
tout réussir. Comme à Bastille en février dernier,
on est surpris combien le moindre pianissimi passe dans de grands
vaisseaux comme le Met. Suivant le propos, la soprano colore et irise
à souhait. En véritable exercice de chiaro oscuro, le Regnava nel silenzio angoissé s’oppose à la luminosité du Quando rapido in estasi.
On note au passage un vrai trille (battue et résolution
comprise), que l’on croyait définitivement éteint
en cette époque où un contrat publicitaire chez Vuitton
tient lieu de formation au Manuel Garcia…
On écoute en apnée le legato et les phrasés sans fin du Verrano a te sull’aure i miei sospiri ardente
…Phrasé que l’on avait plus entendu depuis …
Sills à qui ces Lucia sont dédiées…
Le pouls s’accélère au fil des tensions musicales.
Les tensions nerveuses se rythment au gré des coloratures.
L’aigu et le suraigu offrent des moments incroyables, offrant
à Lucia ces moments de liberté auxquelles elle aspire
tant. Après les contre-ré
de la fontaine, du duo avec Enrico et du sextuor, elle crucifie la
salle par un interminable suraigu de 12 mesures à la fin de
l’acte I.
La scène de la folie va offrir un opéra dans
l’opéra. Comme cadre, un immense escalier à la
«Autant en emporte le vent » sur un fond de pleine
lune gigantesque.
Annick Massis va par d’incessants aller retour entre
réalité et univers psychotique nous raconter ses
souvenirs, mais aussi la vision du bonheur qu’elle aurait pu
vivre avec Edgardo.
Mais ses échappées hallucinées et leurs effets
libérateurs sont de plus en plus de courte durée,
à l’image de cette morphine que lui administre un
médecin. Chaque réminiscence lui coûte toujours
plus, comme en témoigne un corps qui se désarticule,
où encore ses balancements compulsifs de femme autiste. Que
n’arrive t’elle à effacer ce sang avec
l’acharnement d’une fillette qui se sait punie si on la
surprend avec une robe salie ?…
Le silence dans la salle et la qualité d’écoute du
public sont surréalistes. 4000 personnes suspendues aux couleurs
et aux sonorités étranges, aux échos et aux
coloratures morbides que vont s’échanger dans ce grand
moment de Belcanto, trois
femmes : l’une jouant d’une flûte, l’autre
d’un harmonica de verre et enfin, la dernière, d’une
simple voix… Lucia invite une dernière fois à la
reprise du Spargi d’amaro pianto,
Edgardo à la rejoindre au plus vite dans la mort. Le corps se
déséquilibre et se brise, Annick Massis
libère Lucia et son public dans un dernier contre mi…
Philippe PONTHIR
Notes
(1) Marcello Giordani, titulaire du rôle d’Edgardo a chanté en octobre, le 5, Lucia di Lammermoor, le 6, il remplace Joseph Kaiser dans Roméo & Juliette, le 7, il apparaît dans un gala en plein air où il chante Nessun dorma, les 9 et 13, Lucia di Lammermoor, le 15, il remplace Alagna dans Madama Butterfly, lui même remplaçant Berti dans Aida et le 17 nouvelle Lucia au côté de Massis…
(2) Le système de retransmission
radio et vidéo du Metropolitan de New York est un des plus
accomplis au monde : www.sirius.com/metropolitanoperaradio
Stephen Costello a audiblement réussi sa prise de rôle.
Très soutenu par sa partenaire, il a offert une bonne
soirée. La retransmission radio laisse entendre une
énergie certaine mais qui doit apprendre encore à se
détendre, autrement, une très belle urgence dans la
jeunesse des moyens. Il semble également que des Nemorino et des
Ernesto du Don Pasquale, peut-être Alfredo de la Traviata, s’imposent davantage et pour quelques saisons encore à ce jeune ténor.
(3) Annick Massis avait déjà
chanté Lucia di Lammermoor pour ses débuts au
Metropolitan en décembre 2002 au côté de Marcello
Alvarez.
(4) Marcella Sembrich créa Lucia au
Met en 1883. Dame Nellie Melba y donna 31 soirées de 1893
à 1901 (exigeant la coupure de la scène finale du
ténor…). Lily Pons, autre française la chanta 92
fois de 1931 jusque 1958. Entre temps, une certaine Maria Callas y
donna 7 Lucia entre 1956 et 1958. Joan Sutherland y débuta en
1961 et y donnera 37 soirées jusqu’en 1982 (captée
en dvd), Renata Scotto, 20 nuits entre 1965 et 1973. Beverly Sills
chanta Lucia lors de la saison 76-77. Enfin, après
l’immense June Anderson en 1992, Ruth Ann Swenson y donna 20
représentations entre 1989 et 2002, date des débuts
d’Annick Massis.
(5) Avec la Comtesse Adèle du Comte Ory, Lucia
est l’opéra le plus fréquemment chanté par
Massis. Elle y débute en 1997. Elle la chante en France bien
sûr, Rouen, Antibes, Nice…Mais aussi, à Zurich,
pour ses débuts à Barcelone, Pittsburgh, Vienne, la
définissant certainement comme la Lucia française de
référence et une des meilleures titulaires
internationales aux côtés des Mosuc et Ciofi. Devia et
Gruberova appartenant à une autre
génération…Annick Massis débutera
également aux Thermes de Caracalla à Rome avec Lucia en
juillet 2008 et donnera sa première Lucie de Lammermoor
française au Concertgebouw le 8 mars prochain. Il sera
très intéressant de la comparer à elle même
à ce moment là.
Liens utiles :
www.annickmassis.com
www.mariuszkwiecien.com
www.johnrelyea.com
www.marcellogiordani.com
www.funkhouserartists.com/StephenCostello
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