Le
non-drame de Lucia di Lammermoor
Sans les Maria Callas, les Renata Scotto,
les Joan Sutherland d'autrefois, présenter Lucia di Lammermoor
sur la seule valeur du chant est une entreprise illusoire. Aujourd'hui,
on se doit d'éclairer la théâtralité de cette
oeuvre au-delà de la vocalité. Les metteurs en scène
français Patrice Caurier et Moshe Leiser l'avaient bien compris
quand, dans leur récente production lyonnaise du célèbre
opéra de Donizetti, ils avaient montré le drame de Lucia
même s'ils pouvaient compter sur la voix de Natalie Dessay.
Pour cette nouvelle production à
l'Opéra de Nice, le directeur et metteur en scène Paul-Émile
Fourny a érigé son spectacle principalement sur la superbe
de la musique et du chant de Donizetti. Au tomber du rideau, les applaudissements
nourris semblaient lui donner raison. Pour autant, cela n'aura pas suffi
à satisfaire les exigences artistiques d'un tel opéra. Même
avec la voix d'Annick Massis. Si la soprano française est la reine
du plateau, son personnage reste sans grande étoffe. Malgré
un manque de puissance flagrant, son soprano possède toute l'étendue
de la tessiture requise. Malheureusement, elle n'en utilise que la joliesse,
sans chercher à la colorer de la dramaticité qu'exige le
rôle. Dès lors, le rêve d'amour de Lucia manque de passion,
sa détresse à l'idée d'envisager son avenir, brisé
par un mariage imposé, est sans apparente amertume et son crime
sans folie.
A sa décharge, il faut constater
que le spectacle niçois n'est pas dynamisant. A commencer par un
décor sans unité. Une grande salle sous un plafond de croisillons
de bois d'où surgissent d'incompréhensibles lueurs bleutées.
Sur le fond, une porte monumentale accrochée à un mur de
pierres de taille en ruine côtoie un escalier interrompu de marbre
blanc, flanqué d'une paroi noire de bitume. Sur l'avant côté
de la scène, une fontaine ( ?) comme une immense bouteille dont
le coulage de bougies centenaires auraient finalement sculpté la
forme. Un environnement inconstant où les bruns et les gris des
costumes d'époque manquent d'éclat malgré leur richesse.
(Annick Massis @Opéra de
Nice)
Dans sa mise en scène, Paul-Émile
Fourny n'exploite pas le drame donizettien. Ne favorisant pas la caractérisation
des personnages, ses scènes se succèdent telles des mises
en place sans que les enjeux de la perte de pouvoir d'Enrico Ashton paraissent
aussi importants que le livret l'affirme. Lucia est alors plus interloquée
qu'anéantie par la décision de son frère de la marier
à un homme qu'elle n'a pas choisi. Dommage, parce qu'au milieu de
cette mise en scène sans profondeur, l'entrée saisissante
de Lord Arturo Bucklaw (impressionnant Alain Gabriel), loque humaine soutenue
par deux sbires est d'une grande intensité dramatique. Ce moment
de théâtre parfait reste malheureusement sans suite, l'action
se poursuivant dans un conformisme sans surprise.
Du côté des chanteurs,
à noter la générosité du ténor florentin
Giorgio Casciarri (Edgardo), qui tente de réveiller un plateau apparemment
plus concerné par ce qu'il chante que par ce qu'il doit dire. Remplaçant
le ténor Carlo Ventre, sa connaissance du rôle, sa bonne prononciation,
sa vocalité intéressante et son italianité en font
un bon protagoniste. Malheureusement, ses qualités vocales n'effaceront
pas l'image du couple grotesque qu'il expose en raison d'une notable différence
de stature avec Annick Massis. Un détail qui ne fait que renforcer
l'impression d'inachèvement laissée par cette mise en scène.
Hormis ces deux interprètes, des accessits vocaux vont au baryton
Marc Barrard (Enrico), souvent monochrome, et à la basse italienne
Elia Todisco (Raimondo), dont la profondeur de voix correspond à
la partie qui lui est dévolue.
Artisan consentant de ce non-drame
de Lucia, la direction musicale du chef italien Marco Zambelli n'aura pas
su révéler ni à l'Orchestre Philharmonique de Nice,
ni au choeur de l'Opéra, la luminosité de la musique de Donizetti.
Jacques SCHMITT