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PARIS
02/10/2006
© Opéra de Paris
Gaetano DONIZETTI (1797-1848)
Lucia di Lammermoor
Opéra en trois actes (1835)
Livret de Salvatore Cammarano d’après « La Fiancée de Lammermoor » de Walter Scott
Mise en scène, Andrei Serban
Décors et costumes, William Dudley
Lucia, Natalie Dessay
Edgardo di Ravenswood, Matthew Polenzani
Arturo Bucklaw, Salvatore Cordella
Enrico Ashton, Ludovic Tézier
Raimondo Bidebent, Kwangchul Youn
Alisa, Marie-Thérèse Keller
Normanno, Christian Jean
Orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris
Direction musicale Evelino Pidò
Paris, le 2 octobre 2006
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Dessay est Lucia
Qu’on le veuille ou non, cette Lucia
est bien l’événement de cette rentrée
lyrique à Paris, même s’il ne s’agit pas
d’une nouvelle production (1)
. C’est évidemment dû à la présence de
Natalie Dessay de retour à l’Opéra de Paris
après l’abandon d’une Zerbinette pendant les
répétitions et autre opération des cordes vocales
très médiatisés.
L’attente était donc grande… et elle n’a pas
été déçue. Il y a bien quelques
réserves… pourtant la réussite de la soirée
les balaye presque toutes au final.
D’abord le gros point noir de la soirée est la suppression
pure et simple de la scène 1 de l’acte 3 qui confronte les
deux rivaux Edgardo et Enrico. L’opéra est-il vraiment
trop long et le public ne pourrait-il pas supporter une scène
entière sans Lucia Dessay ? On aurait bien aimé que
ces pratiques qu’on croyait révolues ne
réapparaissent pas.
Bien sûr la mise en scène de Andreï Serban est
signifiante jusqu’à plus soif avec ses symboles
assené à la hache (2)
: Lucia, jeune fille insouciante, s’étourdit sur sa
balançoire, la lente mise à mort se déroule dans
une sorte d’arène, le monde entourant Lucia est
dépeint comme masculin et hostile, avec notamment des soldats
violant les jeunes servantes dans les foins lors du banquet... La liste
de poncifs est longue. Pourtant, malgré la laideur des
décors, cette mise en scène fonctionne
étonnamment, habitée par des chanteurs qui croient au
drame qu’ils vivent, et en première ligne une Natalie
Dessay pour qui la production semble taillée sur mesure. Le plus
marquant n’est pas la performance physique des chanteurs qui
chantent dans toutes les positions, mais la tonalité globale du
spectacle, très sombre et crue. Cette vision d’une Lucia
malmenée et torturée physiquement et moralement tout au
long du spectacle provoque le malaise chez le spectateur… et
l’imagerie présentée ne serait pas tout à
fait déplacée dans un film
« gore ». A l’opposé,
l’idée de faire chanter le dernier air d’Edgardo
dansant avec le fantôme de Lucia atténue le
caractère dramatique de ce final : les deux amants
séparés sur la terre se retrouveront bien au ciel.
Bien sûr on aurait pu rêver d’un Edgardo plus
italien, à la voix moins claire, au timbre plus charnu. Pourtant
Matthew Polenzani conduit jusqu’au bout un chant d’une
très grande élégance, avec une belle projection,
une grande variété d’expression, aboutissant en
apogée avec un « Tu che a Dio spiegasti
l'ali » très émouvant. On est ici à
mille lieues du ténor débraillé qu’on entend
trop souvent dans ce rôle.
Bien sûr, les opéraphiles qui ont dans l’oreille une
Callas ou une Sutherland pourront trouver la voix de Natalie Dessay
trop légère pour ce rôle, trop
« française » pour cette Lucia italienne,
convenant mieux à la Lucie française (3)
. La transformation de la voix de la Dessay est cependant
remarquable : le médium, qui n’est plus
artificiellement grossi comme parfois dans le passé, est devenu
beaucoup plus rond, la voix a acquis un moelleux sur toute la
tessiture, qu’elle n’avait pas auparavant. Il est vrai que
les notes suraigües se font plus rares et sont émises en
force, les vocalises sont moins virtuoses, mais la voix bien
qu’encore d’essence légère est devenue plus
lyrique, soutenant sans peine les moments les plus
élégiaques.
Mais au-delà de cet aspect purement vocal, cette Lucia vaut
surtout pour l’incarnation de Natalie Dessay : aura-t-on souvent
vu et entendu une si belle adéquation entre cette vision du
rôle et une chanteuse ? Cette enfant
déchaînée, torturée par les hommes,
c’est elle, cette femme qui chancèle, qui essaie de
s’élever au dessus de l’arène où elle
sera sacrifiée, c’est encore elle. Elle ne prend pas de
précautions, y va à fond, scéniquement mais aussi
vocalement, osant le cri, le rire hystérique. On peut ne pas
goûter cette vision expressionniste de Lucia mais on ne peut ne
pas être impressionné : on n’en sort pas
indemne. Le public lui réserve un triomphe mérité
à la fin de la scène de la Folie.
On en oublierait presque les autres plaisirs de la soirée, un
chef et un orchestre en très grande forme qui laissent respirer
la musique, savent soutenir les chanteurs, mais surtout
l’accompagnement au glassharmonica qui ajoute une vraie touche de
fantastique et d’étrangeté à la folie de
Lucia (4), un Raimondo
puissant et bien chantant. On oublierait presque aussi les quelques
déception, dont un Tézier un peu terne, à la
projection limitée (5) , une Alisa mal chantante et des second ténors bien pâles.
En bref une belle soirée qui gagnait vraisemblablement à
être vue plutôt qu’écoutée à la
radio… Madame Dessay nous avons hâte de vous retrouver
bientôt Somnambule et en Fille du régiment !
Antoine Brunetto
Notes
(1) Cette mise en scène a été créée en 1995 pour June Anderson.
(2) Au sens propre du terme !
(3) Qu’elle a chantée à Lyon et enregistrée Chez Virgin Classics avec Roberto Alagna.
(4) On peut entendre cet instrument qui aurait
été voulu au départ par Donizetti dans le
très bel enregistrement de Beverly Sills avec le divin Carlo
Bergonzi chez Westminster.
(5) Vraisemblablement en méforme
pour qui l’a vu triomphant en Posa de Don Carlos à
Strasbourg en mai dernier
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