Donnizetti
/ Hugo même combat ! Lucrezia Borgia reste bien l'une des
facettes les plus caractéristiques du premier romantisme italien,
autant qu'un avant-goût de la révolution esthétique
menée par Verdi quelques années plus tard.
Solidement charpenté, le livret
de Felice Romani prétexte une série de scènes dramatiques
qui suit assez fidèlement la pièce de Victor Hugo. On voyage
ainsi, en pleine Renaissance, de Venise à Ferrare (grâce aux
superbes décors et luxueux costumes de Francesco Zito), l'absolution
finale de l'incestueuse héroïne mélodramatique à
souhait arrache toujours les larmes... dans un ensemble toujours bien moral,
bien "filtré", bien censuré dans les mots et l'anecdote devant
un sujet historique, réel, tellement sulfureux.
De plus, la partition de Donizetti,
d'une belle efficacité, d'une liberté assez surprenante avec
cette alternance de rire et de larmes, de vin et de sang, est bien d'une
grandeur tragique comparable à celle du Pirata, de Bolena
ou Devereux.
Le rôle-titre alors ? Ecrasant
pour toute colorature dramatique qui s'y frotte. Ici l'élément
de virtuosité pure doit s'effacer devant la violence des accents,
les écarts de l'émission, la puissance du timbre nécessaire.
L'empoisonneuse, comploteuse, mère et presque monstrueuse maîtresse,
incestueuse, a tout d'un comportement masculin qu'il faut bien rendre évident
scéniquement et vocalement.
© Opéra de Monte-Carlo
Darina Takova laisse perplexe. Sa grande
scène d'entrée "Com'è bello", sans abandon extatique,
manque de magie, l'émission est instable. Au deuxième acte,
dans l'affrontement avec son quatrième mari, les terribles écarts
de registre lui posent de réels problèmes, ses notes de passages
sont sourdes, l'aigu vrillé, le haut médium voilé.
Mais la diablesse se retrouve à son mieux au dernier tableau avec
des accents d'une profonde mélancolie et d'une réelle douleur
: "Son la Borgia" glace le sang, "figlio moi" contient toutes les larmes
d'une mère...
Gregory Kunde (Gennaro) ne fera pas
oublier ses illustres prédécesseurs même si l'aigu
est facile, un rien claironnant. On cherche en vain la mélodie donizettienne,
la brume poétique d'un rôle de ténor unique en son
genre.
Seul bon garçon du drame, le
Maffio Orsini de Katharine Goeldner nous renvoie aux grandes heures de
Horne ou Verret ! Justesse d'interprétation, travesti crédible.
Vocalement superlatif, son brindisi du troisième acte, librement
orné, d'une insolence presque spectaculaire, sera un grand moment
de chant.
Tout aussi impressionnant sera aussi
le Don Alfonso de Giorgio Surjan.
Les sept rôles secondaires, majeurs
aux actes extrêmes, sont bien tenus.
La mise en scène classique et
sage de Beppe di Tomasi ne restera pas dans les annales. Tout au long de
la soirée, il semble feuilleter négligemment un secondaire
roman de cape et d'épées aux jolies enluminures. L'outrance
et la violence des situations du drame hugolien sont ailleurs.
Dans la fosse du Théâtre
de Fontvieille à l'acoustique rebelle, Giuliano Carella fait preuve
d'une belle dévotion à la partition, mais ne peut éviter
quelques négligences au niveau des cuivres, mais donne une pulsion,
une respiration authentique à l'ensemble.
Excellente participation des choeurs.
Kristan Missirkov peut, lui aussi, être fier de son travail.