Faites la guerre, pas l'amour !
Faites la guerre, pas l'amour !
A cette formule revisitée pourrait se réduire le livret de
"Roland", l'opéra de Jean-Baptiste Lully. Roland est amoureux
d'Angélique mais les règles de l'amour courtois interdisent
les épanchements romantiques. Un chevalier ne peut gagner le coeur
de sa belle qu'à travers l'héroïsme de ses actes guerriers.
Sous Louis XIV, à l'époque où l'ouvrage fut créé,
cette culture galante était encore de mise. Aux spectacles de la
Cour, la tradition et la force de l'habitude permettaient à chacun
d'assister sans préparation particulière. De nos jours, ces
valeurs sont surannées. Comme en littérature Ronsard n'est
plus qu'un auteur pour universitaires, les tragédies de Lully sont
devenues de véritables pièces de musée. Même
si Roland est d'une grande qualité musicale et bénéficie
d'une construction dramatique remarquable, un public non averti se trouvera
désorienté devant une telle oeuvre. Il ne reste qu'à
espérer que le metteur en scène lui dévoile les tenants
et aboutissants de l'intrigue.
Malheureusement, rien de tel à
Lausanne. Cette production reste bien en-deçà de ce qu'on
peut attendre de la résurrection d'un opéra de Lully. La
mise en scène de Stephan Grögler se limite aux variations esthétiques
d'un décor unique (Véronique Seymat). Si la longue estrade
au-dessus d'un terrain caillouteux illustre la facilité du rêve
contre la dureté de la réalité, quand le metteur en
scène suisse crée ses atmosphères à travers
des projections vidéos (Charles Carcopino), des images sur des téléviseurs
disséminés sur la scène, des jeux de lumières
(Laurent Castaingt), il oublie d'éclairer l'intrigue, laissant aux
chanteurs le soin d'articuler le discours dramatique.
© Opéra de Lausanne
Tout repose sur la narration. Malheureusement,
la plupart des protagonistes n'ont pas le style du chant baroque. A commencer
par la basse française Nicolas Testé (Roland). Sa prestance
en ferait un héros idéal si son chant n'était imprégné
d'inconvenants accents de belcanto. Par contre, avec Anna Maria
Panzarella (Angélique), la production lausannoise propose le modèle
même du chant baroque. Exemple de clarté narrative, dominant
le plateau de sa voix bien posée, de sa prononciation parfaite,
la soprano donne sens aux récitatifs et aux airs brefs soutenus
par le continuo. Favorisant l'expressivité vocale, colorant sa voix
sans effets inutiles, elle intègre parfaitement le personnage torturé
tantôt par son amour pour un homme socialement inférieur,
tantôt par son orgueil de reine, tantôt encore par l'impossibilité
d'entendre le discours amoureux de Roland. De son côté, manquant
souvent de justesse musicale, le ténor français Olivier Dumait
(Médor) déçoit. Des autres solistes, on retiendra
les excellentes prestations du baryton Evguenyi Alexiev (Ziliante/Demogorgon)
et du ténor Emiliano Gonzalez-Toro (Tessandre/un insulaire) seuls
à intégrer la forme et le style du chant baroque français.
Des quelques ballets qui égayent
la partition de Lully, que dire sinon que le chorégraphe (Daniel
Larrieu) les a ridiculisés... Est-il nécessaire que les danseurs
se trémoussent scolairement sur des mouvements de jerk ou de boogie-woogie
parce que le compositeur syncope sa musique ? Le ballet engagé pour
cette production vaut certainement mieux que ses apparitions dont le seul
but semble être l'étalage d'une impressionnante quantité
de costumes (Véronique Seymat) façonnés pour l'occasion.
Dans la fosse, Les Talens Lyriques
sont apparus fort bien préparés et en excellente forme. Après
une ouverture quelque peu désordonnée, le chef français
réussit à ramener ses pupitres autour d'un bel équilibre
musical. Si l'étoffe de l'orchestre reste toujours un peu rude par
rapport aux autres orchestres baroques, Les Talens Lyriques ont au moins
l'avantage d'avoir un son reconnaissable entre tous.
En résumé, l'énergie
développée autour de la résurrection lausannoise de
Roland
aurait été mieux canalisée si le metteur en scène
s'était attaché à raconter l'intrigue plutôt
qu'à en faire un beau, mais inutile, tableau de lumières.
Jacques SCHMITT