Concert exceptionnel ce 16 novembre,
donné en présence de Madame Anne Bessand-Massenet, et qui
présentait une rareté, l'oratorio Eve, et une première
mondiale, la Suite parnassienne.
Pour n'être pas totalement ignorée,
la musique religieuse de Massenet n'en est pas pour autant familière.
De ses quatre oratorios, Marie-Magdeleine (1872), Eve (1875),
La
Vierge (1880) et La Terre promise (1900) sont encore quelques
fois joués Marie-Magdeleine, enregistrée par trois
fois, et La Vierge, montée au Festival Massenet en 1990 et
enregistrée à cette occasion. Le poète Louis Gallet,
déjà auteur du livret de Marie-Magdeleine précisément,
mais aussi de celui de Thaïs, évoque la naissance d'Eve au
Paradis, la rencontre d'Adam, sa tentation, sa faute puis la malédiction
des premiers époux. Il est à observer que la faute consiste
à voir "l'arbre de la science dont l'amour est le fruit, qui donnera
la puissance humaine". D'une manière on ne peut plus massenetienne,
Adam et Eve quitteront l'Eden par ces mots passionnels : "Frappe-nous,
mais du moins laisse-nous notre ivresse, ne nous sépare pas ! ".
Sur ce poème empli d'extase frissonnante, Massenet a écrit
une partition très lyrique, très poétique. La seconde
partie débute ainsi par le splendide choeur a capella des
Voix
de la Nuit auquel succède un frémissant nocturne chanté
par une Eve éperdue, toute troublée par la Nature qui l'entoure.
L'oeuvre culmine dans les deux duos : Massenet y démontre sa profonde
musicalité, son art de la ligne mélodique et déploie
son incomparable écriture vocale. Il n'est dès lors pas étonnant
que ces duos, et spécialement le second ("Aimons-nous ! Aimer, c'est
vivre"), aient enthousiasmé le très nombreux public du Temple
de l'Oratoire. D'autant plus que les interprètes semblaient véritablement
portés par cette musique enivrante au point de ne parfois paraître
qu'une seule voix, embrasés dans la même incandescence. Nathalie
Labry possède également toute la puissance requise par l'air
"La Terre à jamais me sera livrée" qui impressionna grandement.
Avec elle, le baryton au superbe
legato de Marc Souchet, et le Récitant
tout en force de Jean Goyetche, lequel profère la malédiction
sur fond de Dies Irae, formaient un trio idéal. Choeur et
orchestre, manifestement rompus à ce répertoire, ont souligné
l'admirable maîtrise de Massenet, qui, toujours, a su se mettre au
service de ses chanteurs, tant dans ses ouvrages profanes que sacrés.
Choeur et orchestre que le public retrouve
dans la seconde partie du concert, dans un silence subit, conscient de
vivre un moment historique : la création mondiale de la Suite parnassienne.
Ainsi que l'introduisit Madame Anne Bessand-Massenet, la partition date
de 1912, l'année même de la mort de Massenet, et n'avait jamais
été jouée. Il s'agit d'une oeuvre relativement brève
(25 minutes) qui n'est ni une cantate (comme Biblis), ni une scène
à la manière des sept suites d'orchestre (Suite pittoresque,
etc.), mais bien un hommage à quatre muses, d'où le titre,
autour de quelques vers déclamés par un récitant,
le Poète (René Finel, le fils de Paul Finel, qui fut en son
temps un très beau Jésus dans Marie-Magdeleine !).
Ces vers, écrits par Maurice Léna, le librettiste du Jongleur
de Notre-Dame, ne sont pas immortels, loin s'en faut, mais exposent
l'ambiance requise. Les choeurs n'interviennent que dans les deux dernières
parties. La "Rêverie" initale (Uranie) se déroule dans un
climat intensément suggestif aux cordes, qu'éclairent quelques
légers traits de flûte, de harpe ou de cor. Clio, muse de
l'Histoire, nous fait assister à d'étranges "Visions asiatiques"
que souligne un fort curieux contre-chant rythmique au xylophone, d'un
effet pénétrant et unique dans l'oeuvre de Massenet. Le double
choeur entre, doucement, tout embué de poésie, et invoque
Euterpe, dans une atmosphère fauréenne. Quant à Calliope,
muse de l'Epopée, elle fait défiler les Héros au son
d'une "Marche historique" de belle allure, interrompue par la rumeur sourde
des troupes en marche, soudain illuminée par une large mélodie
vériste. Sur un rythme sèchement martelé par la caisse
claire, choeurs et orchestre terminent victorieusement par une rapide citation
de La Marseillaise. Telle est cette Suite parnassienne, largement
ovationnée par les auditeurs enthousiastes. L'oeuvre est en effet
très intéressante, tant par l'originalité de son propos
que par ses nombreuses recherches de timbre et d'atmosphère. Ce
souci a toujours été primordial aux yeux de Massenet : il
le prouvait encore, quelques semaines avant sa mort.
Événement très
important donc, qui sera bientôt relayé par un enregistrement
à paraître chez Malibran Music.
Bruno PEETERS
En savoir plus :
- site Massenet : www.jules-massenet.com
- Académie Lyrique des Choeurs
de Paris : http://alcp.free.fr
- Malibran music : www.malibran.com