SAPHO, TRIOMPHE DU NATURALISME
?
Sapho, créé le
27 novembre 1897 à l'Opéra-comique, vient de connaître
les honneurs de la Cité des Papes. Une fois dit que le personnage
principal, Jean Gaussin, est avignonnais...
Avouons le bien bas, cette Sapho
n'est pas le chef-d'oeuvre auquel on voudrait bien nous faire croire :
avec sa relative longueur (5 actes, cadre habituellement réservé
au Grand Opéra), une action relativement pauvre et réduite
- mais ici le réalisme confine au sordide - un décor unique,
une musique douce et discrète... Il fallait donc une bonne dose
de courage pour soutenir l'attention. Les inconditionnels se pâment,
les autres baillent, dorment ou demandent une aspirine...
Certes, le dernier acte est émouvant
(l'ancienne fille de joie - trahie par les siens - qui retourne à
ses devoirs de mère après une vie dissolue entre amants et
maîtresses fera toujours pleurer dans les chaumières), mais
on ne retrouve que par intermittences le cruel drame de Daudet, ici édulcoré
au maximum par les librettistes.
Massenet enveloppe et irradie le tout
de sa propre poétique : une partition simple, élégante,
moderne parfois, au pathos indéniable dans l'acte final, amusante
aussi dans son rappel à la Mireille de Gounod. On est en
Provence et on y reste. Finalement, elle n'est " naturaliste " que dans
la modernité de son environnement, la simplicité de ses personnages,
elle est totalement massenetienne pour le surplus. Qu'il nous soit toutefois
permis de penser que Massenet n'a construit que mollement le conflit entre
la courtisane mûrissante et son naïf amoureux.
Fou du compositeur, Jean-Louis Pichon,
par ailleurs directeur de L'Esplanade-Opéra de Saint-Etienne, vient
sans doute de signer la mise en scène la plus originale de la rentrée.
Prenant le livret à bras-le-corps,
il n'y va pas par quatre chemins et ose, dans un décor grandiose
- une verrière style Orsay -, un spectacle décadent au premier
acte (ici un bordel de luxe avec invertis des deux bords) dans une avalanche
de danses, lumières ou clichés crus de la meilleure veine.
Pour les actes suivants, il resserre
le drame dans le plus pur style du drame bourgeois. On pense souvent aux
retransmissions télévisées d'Au Théâtre
ce Soir ! On entre, on sort, on se dit ses quatre vérités,
on se déchire, on se rabiboche... L'indigence du livret permet-elle
autre chose ? Ne chipotons pas. Un grand, un beau spectacle. D'autant,
on l'a dit, que la scène finale est riche d'émotion.
Il fallait donc une solide motivation
et beaucoup de professionnalisme aux artistes invités pour aborder
cette partition. Jouant le jeu à fond, emportant le rôle-titre
dans une sorte d'assomption dramatique, musicale et vocale, Danielle Streiff,
comme une Traviata pétante de santé, a bien mérité
la longue et sincère ovation du public avignonnais. La belle artiste
ne craint ni le sanglot, ni le parlé au ton ignoble, ne tombe jamais
dans le ridicule ou le vulgaire. Son beau soprano lyrique s'épanouit
sans peine aux extrémités de la tessiture voulue par le compositeur.
Un rien de plus en termes de diction et nous aurions été
vraiment gâtés.
Luca Lombardo ne démérite
pas. Le marseillais a la voix chaleureuse de Jean Gaussin. Celle donc de
Des Grieux, du prophète Jean, d'Hoffmann et de Don José...
Il lui sera beaucoup pardonné pour un léger comas, passager
et bien compréhensible. Son rôle est lourd, pas toujours bien
écrit, à se demander si Massenet (comme Richard Strauss !?)
aimait vraiment les ténors. Une moue boudeuse et une gaucherie d'acteur
naturelle peaufinent son personnage, finalement un puceau rêveur,
dévergondé par une pute de luxe !
Plaisir également de retrouver
le mezzo chaud et cuivré de Valérie Maestin en mère
Divonne compréhensive et tolérante. Florence Vinit (Irène)
peu gâtée dans un impossible rôle d'oie blanche séduit
plus qu'elle n'émeut dans ses brèves apparitions.
Le reste du quatuor masculin, bien
en place, n'appelle que des éloges. En père désarmé
devant les aventures de son fils, Erik Freulon (Césaire) campe un
provençal de haut lignage plus vrai que nature. Les ex-amants de
Sapho, Caoudal (Patrick Vilet) et La Borderie (Pierre Espiaut) crèvent
la scène, sonores et retors à souhait. Jusqu'au patron du
restaurant croqué avec finesse et aplomb par un Xavier Seince aux
bacchantes affriolantes.
Choeurs simplement parfaits et excellents
comédiens, une fois encore. Dans la fosse Jacques Lacombe arrive
à nous faire croire qu'il dirige la révélation lyrique
de la décennie. Sa baguette, véhémente, reste intelligemment
contenue dans les limites du bon goût. Elle est pour beaucoup dans
la réussite exceptionnelle de l'ensemble.
Christian COLOMBEAU