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TOULOUSE
22/05/05

Medea (Anna Caterina Antonacci) & Neris (Sara Mingardo)
© Patrice NIN
MEDEA

Luigi Cherubini (1760-1842)
Opéra en 3 actes
Livret de Carlo Zangarini d'après François Benoît Hoffmann
Créé le 13 mars 1797 à Paris

Direction musicale : Evelino Pidó
Mise en scène, Décors et Costumes : Yannis Kokkos
Lumière : Patrice Trottier

Medea : Anna Caterina Antonacci 
Jason : Nicola Rossi Giordano
Glauce : Anna Maria dell'Oste
Creon : Giorgio Giuseppini
Neris : Sara Mingardo/Qiu Lin Zhang
Première servante : Elena Poesina
Deuxième servante : Blandine Staskiewicz
Un capitaine de la garde : Frédéric Caton

Orchestre national du Capitole
Choeur du Capitole

Nouvelle production

22  Mai 2005


 
Ramenée sur les scènes grâce à la résurrection opérée pour Maria Callas, la Medea de Cherubini est proposée aux Toulousains dans une nouvelle production. C'est une oeuvre redoutable pour ses interprètes, musicalement et théâtralement .Il s'agit de respecter son caractère d'oeuvre charnière, entre le néo-classicisme hérité de Gluck et le romantisme à venir dont elle possède déjà les leitmotiv et la violence.

Le chef d'orchestre Evelino Pido, dont c'est la première apparition au Capitole, relève cette gageure. Sous sa direction très physique, cordes, cors, flûtes et timbales rivalisent de précision, de douceur, de mordant, restituant dans l'acoustique du célèbre théâtre les thèmes, accents et dissonances qui plurent à Beethoven comme à Wagner. Chef expérimenté du théâtre lyrique, Evelino Pido accompagne les chanteurs en ménageant l'équilibre souhaité par Cherubini.

La réussite ne nous a pas semblé totale pour Yannis Kokkos, responsable des décors, costumes et de la mise en scène. Pour le dire d'un mot, la force ravageuse de la musique et des situations dramatiques n'a pas d'équivalent exact dans la plastique du spectacle. Les élégances prévisibles sont là, dans les couleurs contrastées ou en camaïeu à dominante de noir et de blanc, au premier acte, dans les asymétries des plans découpés, mais certaines scènes tournent à l'afféterie, comme le défilé des porteuses de flambeau, au premier acte, et l'exposition du voile brodé sur lequel des roses rouges sont effeuillées. Certains partis pris laissent songeur : pourquoi ces coiffures à toupet et ces maquillages blancs qui font des choristes les clones du précepteur du fils de Barry Lindon dans le film de Kubrick ? Cependant, ces réserves faites, les portes à l'encadrement coloré comme dans les cités baroques du sud de l'Italie, la figure de proue chryséléphantine de l'Argos, mi antique mi baroque, les longs vêtements intermédiaires entre la tunique et la redingote, les différences de couleur des cuirasses de Jason - bien que plus décoratives que nécessaires, car le personnage n'évolue pas - l'utilisation de l'espace dans la scène du mariage, avec les trois zones où les personnages sont répartis de manière claire et fonctionnelle, la scène où Néris s'allonge près de Médée et esquisse une caresse qui ouvre des horizons insolites sur son attachement, tout cela compose une lecture pertinente et réalise les intentions annoncées dans le programme richement documenté, en particulier dans les scènes où la foule menace l'étrangère, dangereuse de ce fait même.

Pour ce qui est de la direction d'acteurs, on aimerait savoir si la Glauce d'Annamaria dell'Oste est bien celle voulue par Yannis Kokkos. Dans une autre version, Patrizia Ciofi - qui reprendra le rôle au Châtelet lors des représentations de juin et juillet prochain - campait un personnage d'élégie, égaré dans un monde violent et condamné d'avance, car incapable d'agir malgré ses pressentiments. Sa consoeur, à Toulouse, est beaucoup plus percutante ; le personnage y perd en douceur et la voix en moelleux, surtout dans l'aigu du registre. L'enjeu semble être de se poser en rivale de Médée ; on sait qu'il est perdu. 


Glauce & Jason (Annamaria dell'Oste & Nicola Rossi Giordano)
© Patrice NIN

Nicola Rossi-Giordano, physique de latin-lover, chante Jason avec un engagement qui conviendrait peut-être mieux à Otello ; le vibrato prononcé du début se discipline et la prestation est honorable, et même mieux affirme ma voisine. Giorgio Giuseppini est un Creonte assez noble, qui chante sans faiblesse et fait passer les émotions, de la colère à la pitié.

Restent Néris et Médée. La première, c'est Sara Mingardo, bien connue des amoureux du répertoire baroque. D'un personnage secondaire, elle réussit à faire un protagoniste, tant elle utilise sa belle voix de contralto, superbement projetée, avec élégance et justesse. C'est une leçon de piani, de demi-teintes, de sons filés, qui traduisent l'état émotionnel exprimé par le texte. Quelle artiste !

On voudrait rester pourtant prudent dans l'emploi des superlatifs, car voici le moment de les tresser en couronne à celle qui relève le défi d'un rôle qu'il ne suffit pas de chanter - et pourtant il y a bien de quoi ! - mais qu'il faut s'approprier pour faire vivre ce personnage fascinant et monstrueux, plombé par de grandes aînées, parmi lesquelles la première d'entre toutes, Maria Callas. Anna-Caterina Antonacci se jette dans la bataille de toute sa vaillance, de toute sa générosité, de toute son intelligence aussi. On sait que la cantatrice est belle, d'une séduisante féminité ; cela ajoute pour nous au mystère dramatique : comment peut-on l'abandonner ? Comment peut-elle être capable des horreurs dont on l'accuse ? Il faut la voir se transformer, son visage se déformer, de rage, de douleur, se figer, se prostrer, ramper comme une bête ou se pencher, enjôleuse, suppliante, égarée... A ce talent de tragédienne s'ajoute la splendeur d'une voix claire, homogène, sans faille aux extrêmes, solide jusqu'à l'invraisemblable, qui délivre au troisième acte son air final, alors que depuis le dernier tiers de l'acte un, elle n'a pas quitté la scène et a dû affronter un véritable parcours du combattant, avec un éclat souverain . Si, à son entrée en scène, les souvenirs sont un peu encombrants, dès l'acte deux ils s'effacent devant l'incandescente performance. Cette artiste complète et sans trucages a déchaîné au rideau final l'enthousiasme du Capitole. Ses partenaires, y compris et à juste titre les choristes, saisissants d'unité et de conviction dans toutes leurs interventions, ainsi que le chef, ont reçu eux aussi leur part d'interminables applaudissements, signant un nouveau succès pour la direction du théâtre.
 
 

Maurice SALLES
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