On le sait, Nicolas Joel, directeur
artistique du Capitole de Toulouse, aime à programmer, dans sa saison
lyrique, des oeuvres emblématiques. Qu'il s'agisse d'opérettes,
d'opéras modernes ou contemporains, d'opéras classiques et
romantiques, Nicolas Joel choisit les meilleurs pages de ces répertoires
et soigne particulièrement ses distributions. Ainsi le Capitole
de Toulouse conserve sa grande réputation et a gagné, depuis
longtemps, l'estime des professionnels de la musique, qui le placent, au
palmarès des grandes maisons, tout juste derrière l'Opéra
national de Paris et peut-être même devant l'Opéra National
de Lyon.
Les efforts de Nicolas Joel ne se dirigent
pas seulement en direction de la scène. Du souci de conserver
la langue originale des titres des oeuvres programmées à
la confection des riches livrets-programmes à l'intention du public,
la maison toulousaine tente d'éduquer son public, toujours grandissant.
Déjà Wagner et Pinchas
Steinberg avaient été convoqués au Capitole, où
ils remportèrent un grand succès, pour Die Walküre
en 1999 et Rheingold en 2001. Le triomphe servant toujours d'aiguillon,
un autre Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg, se retrouve
à l'affiche cette saison. Opéra-comique aux influences musicales
du XVIIIe siècle allemand, à la fois parodique et réaliste,
philosophique et historique, Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg
est l'ouvrage d'un Wagner s'essayant au "style ancien". On y étend
des chorals, des chants populaires plutôt archaïques, des fugues
très classiques : une rétrospective musicale de la Sainte
Allemagne des siècles passés, de la Renaissance au XVIIIe
siècle. Cependant, le livret ne dépeint pas uniquement une
certaine nostalgie du passé des traditions, c'est surtout un manifeste
politique et esthétique.
Monter un tel ouvrage n'est pas entreprise
aisée et que ceux qui accusent les programmateurs de mettre à
l'affiche ces grands opéras ne se permettent pas de qualifier de
démagogiques et passéistes ces productions. Ce n'est pas
une solution de facilité que de monter un Wagner aujourd'hui, encore
moins si l'on prend le parti de concevoir des décors inspirés
de tableaux de Dürer ou de respecter les croquis des années
1860. Ici, la tâche est accomplie avec brio : ainsi l'extrême
originalité du livret n'en ressort que davantage. L'imagerie d'un
Nuremberg vieillot rend saillante la vivacité du texte du compositeur
sur l'art nouveau. Les décors de Jean-Marc Stehlé, commencés
dans les ateliers de l'opéra dès septembre, ont aussi la
qualité de recréer, avec l'aide de la mise en scène,
l'intimité des lieux puis une certaine ambiance villageoise. De
l'intérieur de l'Eglise Saint-Catherine où se passent les
sélections pour le concours à l'intérieur de l'atelier
du cordonnier jusqu'au pré dans la campagne : tout apparaît
sous l'angle de la chaleureuse rusticité. L'atmosphère idyllique
chère à Wagner est savamment reconstituée.
Difficile également pour Nicolas
Joel de mettre en scène tous ces ensembles de chanteurs, ces mouvements
de foule et l'humour de certains épisodes puis surtout : l'esprit
des mots. Là encore, tout est finement réussi, particulièrement
au niveau des scènes collectives. La folle bagarre après
l'hilarante sérénade de Beckmesser ( chanté par un
Raph Lukas désopilant et vocalement très sûr ) est
fort bien représentée ainsi que le défilé des
corporations et tout le dernier tableau de l'opéra. Aussi, à
la tête des choeurs du Capitole, le viennois Nobert Balatsch mérite
toutes les louanges : les ensembles vocaux mixtes des apprentis, du peuple,
les choeurs d'hommes des artisans sont tous excellents et d'un naturel
à couper le souffle.
Le Walter von Stolzing de Jorma Silvasti
a un caractère très bien trouvé : fier mais amoureux
cherchant conseil, têtu inflexible mais presque prudent, il est (
avec Hans Sachs ) le personnage le plus intéressant de la production.
Silvasti, qui n'a pas toujours su exploiter toute la richesse de sa technique,
semble, pour ce personnage-ci, avoir pris le temps de chercher les bonnes
couleurs, des effets de nuances adéquats. Gert Henning-Jensen, qui
incarne le jeune apprenti David, d'une agilité à toute épreuve
tant vocale que physique (chantant et dansant tout à la fois) possède
un beau timbre, très particulier, presque cuivré.
Curieusement, Jean-Philippe Lafont,
qui aurait dû interpréter son premier Hans Sachs au Capitole,
ne nous manque pas tant Wolfgang Brendel, par ailleurs (richard) straussien
apprécié, accomplit une prise de rôle irréprochable.
L'épisode de la composition du chant de maître en son atelier,
ses interventions bouffes pendant la sérénade de Beckmesser
sont autant de passages remarquables qui prouvent sa maturité vocale
et son don d'acteur. Ce personnage du peuple prend, grâce à
la science de Brendel, une bien attachante personnalité : on comprend
alors que le peuple allemand en ait fait son héros.
Le reste de la distribution est à
l'égal des premiers rôles, la diction de l'intégralité
du plateau est impeccable, c'est pourquoi Pinchas Steinberg, au pupitre,
fait confiance. Alerte mais discret dans la fosse, il laisse à ses
chanteurs, entière liberté.
La saison prochaine, les opéras
Siegfried
et Die Götterdämmerung, deux des journées extraites
de l'immesuré drame wagnérien Der Ring des Nibelungen
commencé par Nicolas Joel en 1999, résideront dans les ateliers
et sur la scène du Capitole de Toulouse dès ouverture du
théâtre pour le premier puis en fermeture de la saison lyrique
pour le second.
Pauline Guilmot