C O N C E R T S 

 
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BRUXELLES
(Église des Minimes)

24/03/2002

De Aeternitate

Carlos Mena, contre-ténor
Ricercar Consort
Philippe Pierlot, direction

Johann Michael Bach (1648-1694) : "Ach wie sehnlich wart'ich der Zeit"
Christian Geist (1640-1711) : " O Traurigkeit ! O Herzeleid !"
Johann Kaspar Kerll (1627-1693) : Sonata
Christoph Bernhard (1628-1692) : "Was betrübst du dich"
Johann Christoph Bach (1642-1703) : "Ach, dass ich wassers g'nug hätte"
Georg Philipp Telemann (1681-1767) : "Ach Herr, strafe mich nicht"
Johann Sebastian Bach (1685-1750) : "Wie starb die Heldin so vergnügt"
Georg Melchior Hoffmann (1685-1715) : " Schlage doch"


Photo - Philippe Pierlot


La Rappresentazione di Anima e di Corpo de Cavalieri, donnée à la Monnaie la saison dernière, révélait une projection insolente et des aigus éclatants, mais Carlos Mena n'avait guère l'occasion d'exprimer sa personnalité. Pour lui, René Martin - le génial concepteur des Folles Journées de Nantes - n'a pas hésité à créer un nouvel label : MIRARE. Avec De Aeternitate, il a placé la barre très haut. Ce premier disque ne vous donnait qu'une envie, urgente et irrépressible : entendre sur le vif, sans mixage ni filets, ce chant enivrant et hypnotique, au risque de briser le charme. Chacun sait qu'une prise de son flatteuse, un état de grâce passager peuvent être à l'origine de gravures sublimes. Mais l'émerveillement est intact, le concert dévoile même certaines raffinements dans la coloration ou un léger frémissement, un vibrato fugace et fragile qui humanise l'Ange. Comment décrire l'émotion que recèle le grain d'une voix, comment évoquer un accent, une inflexion qui vrille l'âme ? Dès les premières notes, son timbre chaud et pénétrant nous libère des contingences du monde (supplice de la chaise basse et courants d'air glacé), sa lumière nous inonde et nous apaise. La voix est d'une beauté époustouflante - une des voix de contre-ténor les plus excitantes à l'heure actuelle - et elle est conduite avec un sens admirable des nuances. Ainsi dans la cantate de Bernhard ("Was betrübst du dich"), non seulement il se joue des périlleux changements de registre, mais en tire de subtils dégradés ou des clairs-obscurs saisissants.

L'affiche reprend la sélection du disque, à deux exceptions près : un air de Jean-Sébastien Bach, à l'écriture tendue, et, surtout, la vaste cantate de Telemann : "Ach Herr, strafe mich nicht". Cette œuvre fantasque requiert une longueur de souffle et une tenue exceptionnelles, une agilité digne des castrats (hallucinant " Weichet, ihr Übeltater", noté "presto" !), exige encore variété et finesse dans l'expression. A ma connaissance, seul René Jacobs avait osé relever le défi ("German Church Cantatas and arias" chez ACCENT). Carlos Mena - qui fut son élève à la Schola Cantorum Basiliensis - transcende ces difficultés, épouse la diversité des climats et des affects et ses envolées d'une impalpable douceur dans l'aria (grave pianissimo) " Ich bin so müde von Seufzen" donnent le frisson ; ivresse des sens et vertige métaphysique, l'expérience vous transforme, vous grandit.

A la tête du Ricercar Consort, Philippe Pierlot a développé un jeu à l'écoute du chant et de la respiration humaine, le résultat est fascinant : l'osmose est totale entre les instruments et la voix, en particulier dans le lamento "Ach, dass ich Wassers g'nug hätte" où l'alto semble porté et caressé par la houle lancinante et charnelle des cordes. Avec le retour de Bernard Foccroulle (orgue), les fondateurs de l'ensemble sont réunis et le souvenir d'Henri Ledroit affleure à la mémoire. C'est avec lui que nous découvrions les chefs-d'œuvre piétistes des prédécesseurs et contemporains de Bach au gré d'une anthologie qui a fait date (RICERCAR). Aujourd'hui, ces pages retrouvent un interprète idéal, capable d'en cristalliser la mélancolie diffuse et d'en exprimer la ferveur intimiste. Mais il ne faudrait pas que la nostalgie d'une voix trop tôt disparue nous empêche d'apprécier la singularité du présent : Carlos Mena n'est pas Henri Ledroit, contrairement à ce que d'aucuns se plaisent à suggérer depuis la parution de son disque.

Coïncidence troublante, ce dernier vient à peine de sortir que Gérard Lesne défend, chez Naïve, le programme gravé jadis par Henri Ledroit et le Ricercar Consort, alors que le label ATMA annonce des lamentos baroques allemands par Daniel Taylor. Il faut dire que les contre-ténors tiennent là un répertoire fabuleux et où aucun puriste ne pourra contester leur légitimité. Henri Ledroit, René Jacobs et James Bowman avant hier, Claudio Cavina, Andreas Scholl et Robin Blaze hier, nombreux sont les artistes qui l'ont abordé avec plus ou moins de bonheur. Les micros de Musique 3 étaient présents ce dimanche, mais la date de diffusion du concert n'a pas encore été annoncée.

Bernard Schreuders

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