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LIEGE
12/03/2006
Olga Pasichnyk © DR
HAENDEL / MOZART
LE MESSIE
K.572 (1742/1789)
Olga Pasichnyk, soprano
Britta Schwarz, mezzo-soprano
Johannes Klüser, tenor
Tom Sol, basse
Ensemble les Agrémens
Guy Van Waas, direction
Chœur de Chambre de Namur
(dir. Jean Tubéry)
Salle Philharmonique du Conservatoire de Liège
Dimanche 12 mars 2006
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LE CHOC DES TITANS
Mozart a-t-il entendu le Messie
donné à Mannheim en 1775 par Vogler ? Les
spécialistes sont divisés : Christopher Hogwood
affirme, sans hésitation, qu’il s’est ennuyé
à ce concert, comme d’ailleurs le reste du public, mais
selon Jonathan Keates, sa correspondance suggère qu’il
n’était pas présent... De toute évidence,
ils n’ont pas consulté les mêmes sources ! Ce
qui est sûr, en revanche, c’est qu’une fois
installé à Vienne, le jeune prodige fréquente les
concerts du dimanche matin de Gottfried von Swieten, diplomate et
mélomane éclairé, qui ne jure que par Bach et
Haendel. Ce féru de musique ancienne est aussi le commanditaire
des versions vocales des Sept Paroles du Christ en Croix, de la Création et des Saisons
de Haydn. Loin d’être puriste, Swieten veut mettre au
goût du jour les ouvrages de Haendel et commande à Mozart
la réorchestration d’Acis and Galatea (1788), du Messie (1789), puis d’Alexander’s Feast et de l’Ode for St. Cecilia’s Day (1790). Il établira lui-même le texte du Messie d’après une traduction allemande éditée en 1782.
La partition connaît un certain nombre de remaniements :
plusieurs récitatifs et quelques airs passent à la trappe
(« Thou art gone up on high »), d’autres
changent de tessiture (« But who may abide »
revient à la basse) et des reprises sont supprimées (le Da capo de
« The Trumpet shall sound »), mais les
transformations les plus substantielles concernent
l’accompagnement instrumental. Mozart ajoute des parties de
flûtes, de clarinettes, de cors et de trombones – qui
remplacent les trompettes –, instaure des dialogues
inédits avec les voix et confère à l’ouvrage
une coloration très viennoise qui, hier comme aujourd’hui,
ne fait pas l’unanimité. Hogwood rapporte l’accueil
mitigé du Sun en mars 1805, au lendemain de la première
exécution de ce nouveau Messie à Covent Garden :
« Nous entretenons un grand
respect pour le génie de Mozart, mais nous conservons
également aux facultés incomparables de Haendel la
révérence qui leur est due et sommes donc contraints de
protester contre toute modification d’œuvres qui ont obtenu
la sanction du temps et des meilleurs juges de la musique. »
Certes, Mozart imprime sa marque et rompt avec l’économie
de moyens que Beethoven admirera tant chez Haendel, mais il ne
prétend pas améliorer le chef-d’oeuvre. « Haendel, dit-il un jour à Rochliz, sait mieux qu’aucun de nous ce qui fera de l’effet ; quand il le veut il frappe comme la foudre. »
Ses interventions n’ajoutent ni ne retranchent rien à
l’extraordinaire puissance expressive du « furieux
Saxon », sauf peut-être lorsque l’irruption des
vents allège le climat volontairement sombre d’un air tel
que « Das volk, das im Dunkeln wandelt »
(« The people that walked in darkness »).
D’aucuns décréteront sans doute que ce lifting
n’a plus de raison d’être alors que l’original
est porté aux nues et a réintégré le
répertoire, mais il ne manque pas d’intérêt.
En cette année de commémoration, il faut savoir
gré au Chœur de Chambre de Namur et aux Agrémens
d’avoir programmé cette tournée de concerts qui met
en lumière un épisode relativement méconnu du
parcours artistique de Mozart.
Le concert permet de mesurer les progrès réalisés
par l’Orchestre Baroque de Namur et d’apprécier
l’excellente préparation du chœur, d’une
très belle couleur et ductile à souhait. Toutefois, les
menues imperfections relevées ici et là retiendraient
certainement moins l’attention si la direction était plus
soutenue et, en un mot, inspirée. Les carences exposées
dès l’ouverture – appliquée, prosaïque
– s’atténuent pour mieux rejaillir au détour
d’un numéro, la tension se relâche trop
souvent et l’imagination déserte volontiers cette
lecture honnête mais à laquelle manque,
irrémédiablement, l’élan, la vision qui
forgent une interprétation digne de ce nom et pourraient rendre
justice tant au génie dramatique de Haendel qu’à
l’ingéniosité de Mozart. A l’exception
notable du soprano brillant, sensible et raffiné d’Olga
Pasichnyk, les solistes déçoivent. Britta Schwarz ne
semble pas évoluer dans sa tessiture : son chant demeure
à peine audible, gris et sans relief, la voix ne retrouvant
projection et couleur que dans son duo avec le ténor
« O Tod, wo ist dein Pfeil ? » (« O
Death, where is thy sting ? ») – un peu tard. La
sûreté, l’éclat, la vaillance font
défaut à Johannes Klüsel, quant à la
musicalité et à l’intelligence du texte
déployées par Tom Sol, elles ne lui sont d’aucun
secours lorsque sa partie le trouve à court de graves comme de
souffle.
Bernard Schreuders
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