Oeuvre
peu souvent jouée, un peu atypique dans l'ensemble des opéras
de Britten, Le Songe, d'après Shakespeare, mais en réalité
sur un livret de Benjamin Britten et de son ami le ténor Peter Pears,
apparaît comme une comédie burlesque, une fable mise en musique,
autant qu'un véritable opéra. Pensée comme un opéra
de chambre, avec une orchestration légère, dans laquelle
les cordes, la harpe et le célesta sont omniprésents, l'oeuvre
présente une grande subtilité, sans cesse balancée
entre ironie réaliste et fantaisie poétique.
Trois univers bien distincts vont se
côtoyer sans se mélanger vraiment : le monde des fées,
où règnent Oberon et Tytania, le monde des humains où
l'on retrouve deux couples d'amoureux, comme dans Cosi Fan Tutte,
et le monde des artisans, traité ici dans le genre burlesque le
plus comique. A ces trois univers correspondent trois écritures
vocales distinctes se répondant avec finesse ; on remarquera aussi
la grande complexité des ensembles vocaux, très nombreux
dans la partition, et des parties de choeur, pourtant destinées
à des enfants.
Le Choeur des enfants
© Johann Jacobs
Abordant l'univers de Shakespeare,
Britten se montre, dans l'inspiration sinon dans l'écriture, tout
proche de la musique baroque, digne héritier des madrigalistes anglais,
de Purcell et de sa reine des fées.
La production de la Monnaie, mise en
scène par David McVicar et placée sous la direction musicale
d'Ivor Bolton, offre plus de satisfaction aux yeux qu'aux oreilles. Dans
un décor unique mais grandiose (Rae Smith), représentant
le grenier de tous les rêves, bric-à-brac de jouets éventrés,
de vieux fauteuils percés et de vieilles armoires d'où sortent
les fées, sous les bienveillants auspices d'une énorme lune
et avec, pour seule évocation du jardin originellement voulu par
Shakespeare et le compositeur, la branche noueuse d'un arbre gigantesque,
les trois univers vont se mêler, les fées intervenant sur
le destin des hommes. Ce décor, rappelant l'univers de Dickens ou
celui, très à propos, d'une carte de Noël, d'une grande
puissance évocatrice, est particulièrement réussi,
et porte véritablement toute la pièce.
Britten, au moment où il adapte
son livret, porte une attention toute particulière au rôle
d'Oberon, dont il fait le véritable Deus ex machina qui ourdit
toute l'intrigue, et donc le rôle principal de l'opéra ; confié
à un contre-ténor, écrit à l'origine pour Alfred
Deller, le rôle est ici repris par Michael Chance, dont le moins
qu'on puisse dire c'est que la voix n'est plus ce qu'elle a été
: timbre inégal, justesse très approximative, manque évident
de puissance et moyens expressifs réduits d'autant, le malheureux
Oberon ne peut en imposer que par son physique, impressionnant, certes,
mais insuffisant pour incarner le digne partenaire de Titania (Laura Claycomb),
pleine de gouaille et de virtuosité. Puck, sorte de génie
féerique du mal (rôle acrobatique, mais rôle parlé)
est tenu par le beau David Greeves qui, par une surprenante présence
scénique, réussit à voler la vedette à Oberon.
L'univers des fées est complété par les choeurs d'enfants
de la Monnaie, que sont venus renforcer les Pastoureaux et le Trinity Boys
Choir, petit monde grouillant fort sympathique, même si sur le strict
plan musical, la réalisation n'est pas toujours parfaite. On sait
comme il est difficile de faire chanter les enfants en scène.
Laurent Naouri / Laura Claycomb
© Johann Jacobs
Les deux couples d'amoureux sont assez
réussis : très belle réalisation vocale tant chez
Demetrius (Leigh Melrose) que chez Lysander (Alfred Boe), petite supériorité,
du côté des femmes, pour l'Hermia de Deanne Meek sur l'Helena
de Madeline Bender. De part et d'autre, beaucoup de charme, de jeunesse
et d'élégance, comme il sied à d'aristocratiques amoureux
athéniens...
Dans le camp des artisans, on relèvera
surtout l'exceptionnelle prestation de Laurent Naouri, un peu inattendu
dans le rôle de Bottom, dont il transcende la lourdeur par une verve
truculente, une précision vocale et une assurance scénique
remarquables. Ses comparses, aux rôles moins importants, s'en sortent
également fort bien, surprenant le public par leurs entrées
à travers la salle, comme si le metteur en scène voulait
souligner la proximité de ces artisans shakespeariens avec nos contemporains.
Enfin, le couple princier de Thésée
et Hippolyta (Brindley Sherratt et Ruby Philogene), semblant tout droit
sorti d'une opérette, offre, sur le plan visuel, une agréable
diversion.
Dans la fosse, moins précis
qu'il ne le voudrait, et surtout moins poétique, moins sensuel que
ne le voudrait la partition, Ivor Bolton décline les actes les uns
après les autres, proprement, mais sans réelle ferveur. Il
vient à l'esprit que, dans cette trop grande salle, l'orchestration
pourtant particulièrement soignée de Britten se trouve comme
diluée et manque d'ampleur. Mais heureusement, la mise en scène
très réussie rachète les quelques imperfections musicales,
de sorte que le public ressort ravi, enchanté, et c'est l'essentiel.
Claude JOTTRAND