C O N C E R T S 
 
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BRUXELLES
du 01/07/04 au 31/08/04

Céline Scheen
Festival des Midi-Minimes

Bruxelles du 1er juillet au 31 août 2004



C'est une véritable aubaine pour les Bruxellois, les fonctionnaires belges et européens qui ne désertent pas la capitale et bien sûr les vacanciers qui ont choisi d'y flâner en juillet ou en août. Chaque jour de la semaine, à douze heures et quart, dans le célèbre quartier du Sablon - rendez-vous des amateurs d'antiquités comme de chocolats et de fines pâtisseries (entre Wittamer et Marcolini, le coeur des gourmets balance !) - l'église Saints Jean et Etienne des Minimes et le Conservatoire royal de Bruxelles accueillent une foule nombreuse et décontractée à la faveur d'une pause musicale. Une pause ? Quarante-cinq minutes d'évasion et de bonheur pour un prix dérisoire, à mille lieues des sirènes de Bruxelles-Plage ou de la Foire du Midi.

Cet été, le festival des Midi-Minimes émigrait aussi au parc royal, investissant, comme il se doit, le kiosque. La diversité est le maître mot d'une manifestation bigarrée qui a su fidéliser des artistes de renom tout en privilégiant la découverte de nouveaux interprètes : le lundi est dévolu aux musiques du monde - cette année, les chants traditionnels tibétain, tzigane et yiddish, mais aussi les polyphonies des Alpes du Sud et le tango endiablé de Soledad - , le mardi explore les musiques médiévales et anciennes, le mercredi renoue avec la grande tradition baroque et classique, le romantisme et le vingtième siècle se partagent le jeudi alors que le vendredi est réservé au récital. En outre, trois thèmes spécifiques charpentaient cette dix-huitième édition : la danse, le Nouveau Monde et la voix, plus spécifiquement masculine, avec une série de concerts intitulée "Vocalum". Au-delà de ce cycle, la programmation réservait une large place à la musique vocale sous ses formes les plus diverses.


Shadi Torbey, basse
Jean-Pierre Moemaers, piano

Ballades fantastiques

Carl Loewe (1796-1869)
Erlkönig Op.1, n° 3

Giacomo Meyerbeer (1791-1864)
La chanson du maître Floh

Franz Schubert (1797-1828)
Erlkönig D. 328

Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Danse macabre

Déodat de Séverac (1872-1921)
Le roi a fait battre tambour

Franz Schubert
Der Zwerg D. 771

Camille Saint-Saëns
Le Pas d'arme du Roi Jean

Carl Loewe
Edward Op.1 n°1 

Conservatoire de Bruxelles - vendredi 23 juillet 2004

Au moment de l'engager, les organisateurs du festival ignoraient évidemment que Shadi Torbey allait remporter le troisième prix du Concours Reine Élisabeth, l'une des compétitions les plus prestigieuses au monde. Cependant, la basse belge d'origine libanaise n'était pas, loin s'en faut, un inconnu. Remarqué dès 1999 au Concours International de Verviers où il se vit décerner le prix de la vocation, il fut élu, deux ans plus tard, Voix d'Or à Metz, aux côtés de Karine Deshayes. En 2003, il se produisait à Paris dans Les Boréades dirigées par William Christie et dans Athalia, avec Paul McCreesh, à Ambronay. 2004 le vit participer à L'Orfeo du Nouveau Studio Opéra de Lyon et débuter à Metz dans le Freischutz, Metz où il se trouvait encore lorsqu'il apprit sa sélection pour les demi-finales du Reine Élisabeth ! Depuis la proclamation du palmarès, les média ne le lâchent plus et les concerts et récitals se sont multipliés à travers tout le pays. Shadi Torbey gère ce marathon en vrai professionnel, sa prestation aux Midi-Minimes ne trahissant aucun signe de fatigue. 

Il aurait pu s'économiser tout en mettant le public dans sa poche avec quelques tubes flatteurs. 
Il n'en fut rien. Les "ballades fantastiques" à l'affiche de son récital sont tout sauf racoleuses et faciles ; âpres et denses, éprouvantes, physiquement et nerveusement, pour le chanteur comme pour l'auditoire, elles plongent au tréfonds de l'âme, réveillent nos douleurs, nos pires angoisses. A priori, rien de très apéritif, mais ça marche ! parce que le musicien s'approprie chaque oeuvre, saisit et capture son mélos, cet élan qui la traverse et nous prend en quelques mesures pour ne plus nous lâcher. L'extrême concentration du narrateur se cristallise dans un regard magnétique, une présence quasi impérieuse à laquelle nul ne peut rester indifférent alors qu'une couleur très personnelle, enivrante, des graves profonds comme une nuit sans étoiles ne séduiront pas forcément tout le monde.

Vous êtes encore tout glacé de frayeur par le récit térébrant de Goethe que Shadi Torbey, lui, est déjà ailleurs. Mobile et insaisissable, l'artiste glisse sans crier gare des humeurs les plus noires, intenses (Schubert) jusqu'au bord de la rupture (Loewe), aux plus enjouées, substituant, à la dernière minute, les tribulations bachiques et drolatiques d'une cruche gorgée de vin nouveau (la trop rare Chanson de Maître Floh de Meyerbeer) aux cauchemars nés d'un "puissant breuvage" (La vague et la cloche de Duparc), initialement programmés après le paroxystique Erlkönig (Loewe) qui ouvre le récital. La rupture de ton est rafraîchissante et bienvenue. Le bonhomme est ainsi fait : imprévisible et plein de ressources, à la fois spontané et très réfléchi. Il découvre une nouvelle partition en fouinant dans la bibliothèque du conservatoire et la met à son répertoire, la testant aussitôt auprès du public, visiblement séduit. Difficile de trouver plus belle et fière allure dans Le Pas d'arme du roi Jean (Saint-Saëns) qu'il défend admirablement. Accompagnateur par vocation (il était le partenaire de Julia Migenes dans "Diva au bord de la crise de nerfs") Jean-Pierre Moemaers se révèle un complice idéal, espiègle caméléon, en parfaite intelligence avec la vedette du jour. 
 
 


Céline Scheen, soprano
Éliane Reyes, piano

Robert Schumann (1810-1856)
Erstes Grün Op. 35, n° 4

Felix Mendelssohn (1809-1847)
Winterlied Op. 19a n° 3

Franz Schubert (1797-1828)
Die Forelle D. 550

Maurice Ravel (1875-1937)
Sonatine

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Beste Jüngling (Der Schauspieldirektor)
Deh, vieni non tardar (Le nozze di Figaro)

Francis Poulenc (1899-1963)
Non, Monsieur mon mari (Les mamelles de Tirésias)

Gaetano Donizetti (1797-1848)
So anch'io la virtù magica (Don Pasquale)

Giancarlo Menotti (1911)
Hello, this is Lucy (The Telephone)

Giuseppe Verdi (1813-1901)
Saper vorreste (Un ballo in maschera)

Conservatoire de Bruxelles - vendredi 30 juillet 2004

Rappelez-vous ces quelques minutes magiques, tout en fraîcheur et en légèreté, au coeur de l'agitation et de la boursouflure : c'est par la voix de Céline Scheen que nous découvrions de trop brefs extraits de La Pomone de Robert Cambert, premier opéra français que les scénaristes du Roi Danse de Gérard Corbiau avaient eu l'heureuse idée de sortir des limbes. Après s'être perfectionnée à la Guildhall School avec Vera Rosza, la jeune soprano belge a suivi les masterclasses de Jean-Paul Fouchécourt, Monique Zanetti et Helmut Deutsch. Elle est apparue cette année dans l'Alceste de Gluck imagée par Bob Wilson et reprise à la Monnaie (Une Coryphée) et elle a fait forte impression dans l'Eliogabalo de Cavalli (Atilia), ressuscité par René Jacobs et Vincent Boussard en avril dernier.

Encore une vocina droite et pure, un de ces sopranos passe-partout, dont notre époque regorge ? Détrompez-vous ! Si la voix est claire, elle est aussi chaude, très sûre, et retient d'autant plus qu'elle se révèle au service d'une superbe et généreuse nature. Refuge des critiques bienveillantes qui répugnent à tirer sur l'ambulance lorsque la technique est défaillante ou l'organe sans attrait, la formule retrouve ici comme une nouvelle virginité. Céline Scheen est faite pour les planches, l'opéra est son élément, elle s'y épanouit même en récital, genre dont elle éclate les limites et bouscule les moeurs un rien guindées. Sans partenaire ni mise en scène, elle joue avec un aplomb déroutant et brosse des portraits de femmes haut en couleurs, de Susanna à Lucy, en passant par Mademoiselle Silberklang, Susanna, Norina, Oscar et Thérèse. Les sourires et les poses vous paraissent un rien appuyés ? Qu'importe, déridez-vous ! Un tel don ne se refuse pas. On a hâte de découvrir sa Papagena, dans quelques mois, sur la scène de la Monnaie. La même fougue se retrouve au piano, presque fébrile dans la Sonatine de Ravel, dont Éliane Reyes vivifie et détaille le discours.

Dans le lied, la chanteuse semble rester sur son quant-à-soi, craignant peut-être de s'y montrer trop démonstrative. Mais quelle finesse, quelle lumière dans le Winterlied de Mendelssohn ! Car l'actrice est aussi et d'abord une formidable musicienne.

Encore un mot : si la troupe d'Eliogabalo passe près de chez vous, ne le ratez surtout pas. 

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Stephan Van Dyck, ténor
Philippe Verschaete, piano

Reynaldo Hahn (1875-1947)
A Chloris
Trois Jours de Vendanges
D'une Prison
Le Rossignol des Lilas
L'Heure Exquise
Quand je fus pris au pavillon

Gabriel Fauré (1845-1924)
Clair de Lune Op.46, N°2
Aurore Op.39, N°1
Au Bord de líEau
Chanson díAmour Op.27, N°
Le Secret Op.23, N°3
En Sourdine Op.58, N°2
Mandoline Op.58, N°1

Conservatoire de Bruxelles - vendredi 13 août 2004

Certaines idées reçues sont particulièrement tenaces. Reynaldo Hahn passe encore souvent pour un musicien de salon, suranné et indéfectiblement lié à la Belle Époque, "bavard talentueux, doué pour pondre des opérettes et des quantités illimitées de petites ballades interprétées avec goût" (H. H. Stuckenschmidt). Cet ami intime de Marcel Proust ne fut pas si prolixe (une soixantaine de mélodies) que le laisse croire le biographe de Ravel, mais il est vrai que le goût de l'interprète est ici essentiel. Felicty Lott, Susan Graham ou Teresa Berganza affectionnent sa veine mélodique si charmeuse et tendre en évitant l'écueil, redoutable, de la mièvrerie. Ténor aigu plus connu des amateurs de musique ancienne, excellant dans l'air de cour (très beau disque consacré à Joseph Chabanceau de La Barre), Stephan Van Dyck semble suivre la voie de Rachel Yakar, musicienne éclectique dont il a suivi l'enseignement au Studio Versailles Opéra et qui a mis l'auteur de Ciboulette au programme de ses récitals (en concert comme au disque d'ailleurs). La confrontation avec Fauré peut sembler hardie, mais elle ne se fait pas au détriment de Reynaldo Hahn dont l'habillage musical des poésies de Verlaine suscita, rappelons-le, l'intérêt du poète, indifférent au travail de Fauré. L'émission à la fois claire et ferme, une vigueur et des accents dramatiques peuvent animer le discours (Díune Prison) qui ne verse jamais dans la sensiblerie, mais la vision du ténor belge laisse souvent un peu perplexe. D'abord, les phrases s'étirent et s'éploient à la faveur de tempi fort lents et parfois même déroutants. Excès de prudence, d'application ? Question de tempérament peut-être aussi, de familiarité surtout avec ce répertoire qu'une fréquentation plus assidue permet d'aborder avec le naturel et la verve nécessaires. Le chant gagnerait à être plus délié, pétillant dans le rondel de Charles d'Orléans (Quand je fus pris au pavillon) comme dans une Mandoline qui manque de fantaisie. A sa décharge, il faut noter que le chanteur ne peut guère compter sur un accompagnement bien prosaïque pour stimuler son inspiration. Dommage, car En Sourdine, lumineux et touché par la grâce, nous rappelle quel artiste raffiné peut être Stéphan Van Dyck.
 

Bernard SCHREUDERS
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