C O N C E R T S 
 
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LYON
28/10/04

Marc Minkowski
CONCERT SCHUBERT, MENDELSSOHN

Schubert: Symphonie inachevée
Mendelssohn: Le songe d'une nuit d'été

Jennifer Smith, soprano I
Gillian Webster, soprano II
Choeurs et Maîtrise de l'Opéra de Lyon
Orchestre de l'Opéra de Lyon
Marc Minkowski

Lyon, le 28 Octobre 2004


Y aurait-il une pointe de schizophrénie dans le comportement de Marc Minkowski ? La question est de celles que l'on retrouve périodiquement sous les plumes les plus diverses... De fait, à y regarder de près, l'organisation de sa carrière peut paraître déconcertante. Baroque (dans son acception la plus large) au disque, Minkowski réserve en revanche à la scène et à l'estrade les perles glanées sous les divers cieux qui font les grands parcours de directeurs d'orchestre. Lui-même aime à rappeler que la première oeuvre née sous sa baguette est une ouverture de Berlioz, et ses Beethoven, Brahms (avec rien moins qu'Hélène Grimaud en soliste), Wagner (Wesendonck magnifiques pour Delunsch) comme aussi son Greif incandescent témoignent d'une curiosité de chaque instant. N'est-ce pas dès lors au disque qu'il faut reprocher la vision un peu univoque d'un chef qui ne gagne pas (forcément) à être réduit au seul répertoire ancien, tout excellent qu'il s'y révèle ? Car l'homme se montre aussi intéressant qu'inspiré hors des sentiers dans lesquels on a tendance à le confiner autant par esprit de caste que par facilité intellectuelle.

Il y a pourtant dans sa direction des éléments invariables, des qualités qui transgressent les limites de la chronologie musicale telle qu'elle est communément admise. Minkowski joue le jeu de l'horizontalité du discours (il faut dire aussi que la phalange lyonnaise n'est peut-être pas de celles dont la pâte peut être fouillée en profondeur), d'une avancée perpétuelle qui bouscule parfois son orchestre (ainsi dans la célèbre marche nuptiale du Songe, dynamitée de l'intérieur), d'une sur-expressivité du discours aussi. Il s'entend aussi parfaitement à tendre, dans Schubert surtout, des arches grandioses, virtuoses dans leur capacité à se détendre dans de superbes (et très démonstratifs aussi) effets de dynamique. Minkowski a par ailleurs un sens inné de la phrase, du modelé, du "climax" surtout, autant de qualités derrière lesquelles on sent la fréquentation régulière du répertoire lyrique. Si cette attention de chaque instant à l'effet, à des équilibres minimalistes (les sonorités extrêmement calibrées de l'ouverture du Songe, sa furia, son emportement juvénile, la délicatesse de touche des notturni aussi) comme aussi le panache théâtral de la figure même du chef (Minko éructe, Minko bondit, le corps déstructuré suivant la ligne musicale) sont à l'opposé d'une certaine conception très concentrée du romantisme à la manière germanique, le spectateur ne s'en trouve pas moins jeté dans un creuset bouillonnant de sentimentalité sublimée. On pourra aimer ou non cette direction, on pourra la trouver affectée parfois, lui reprocher l'éclairage cru qu'elle jette sur ces partitions, son refus de l'afféterie, mais il y a là un emportement viscéral, un refus de l'hédonisme qui sont autant de visions personnelles qui ne peuvent laisser le spectateur passif.

Cependant, si l'orchestre un temps égaré dans Schubert (qui surexpose des cordes rêches surtout du côté de violoncelles émaciés, malgré les couleurs tendres et solaires de bois magnifiques et l'acuité de cuivres rutilants) retrouve du fruité et de la cohésion pour un Mendelssohn tantôt songeur, tantôt rieur, c'est après le travail du chef du côté des voix qu'il faut aller chercher les grands bonheurs de cette soirée.

Entre mélodrame et vocalité pure, il y a là un théâtre subtil qui s'expose, à la fois lyrique et distancié, subtilement dosé et délicatement outrancier, ne perdant cependant jamais de vue le merveilleux de conte de fée qui caractérise l'oeuvre. Il y a là un inimitable ton anglais et surtout une idée de génie dans la distribution. Là en effet où l'on a été souvent habitué à des voix agiles, tendres et lumineuses mais aussi désespérément lisses (on ne citera pas de noms mais la discographie est assez éloquente à cet égard), Minkowski a choisi de rappeler l'arrière-garde lyrique pour soutenir son projet. Ce n'est pas tellement le cas de Gillian Webster, brushing à la Lady Di, voix charnue, dignité de chaque instant et ligne ensorceleuse... Mais il y a surtout présente sur scène Jennifer Smith dans sa énième métamorphose. Il y a déjà quelques années que l'on sait que le talent de l'artiste n'est plus du côté de la simple vocalité (doux euphémisme considérant l'érosion de sa Diane offenbachienne confirmée plus récemment par les Noces aixoises). Le timbre s'est empâté, alourdi, l'instabilité de la colonne d'air est assez marquée, l'aigu jadis radiant est ici à peine esquissé, comme jeté à la volée sur une pointe souffle, même si l'impeccable talent de la ligne reste conservé comme aussi la couleur générale, immédiatement reconnaissable. Une incroyable Folie de Platée avait révélé quelle vis comica, quel pouvoir d'appropriation technique et théâtral pouvait être celui de Jennifer Smith (qui a osé depuis, comme elle, atomiser la phrase et le trille des "langueurs d'Apollon" avec autant de naturel ?)... L'artiste nous revient ici, roulant ses "r", ses yeux et sa silhouette, à mi-chemin de la grande dame victorienne, bien pensante et collet-monté jusqu'au bout des ongles, et de la maîtresse d'école des années 50, la bouche pleine de mots qu'elle ne parvient à contenir, débit insinuant, le doigt boudiné et grondeur, la commissure boudeuse. C'est là la conteuse idéale, comme ces grand-mères que tout enfant a un jour rêvé d'avoir, tellement distanciées qu'elles se prennent elles-mêmes comme sujet de représentation en évitant toujours le ridicule. Smith se contrefait d'un simple foulard jeté sur sa tête de marionnette soudain grotesque, avec cette voix flûtée, cette diction pointue, ce ton "d'époque" délicatement suranné qui replace l'action dans une temporalité à la fois passée et imaginaire. 

Shakespeare, par les soins conjugués d'un chef dont la verve n'est plus à rappeler et d'un duo de chanteuses/conteuses à la fois subtiles diseuses et bêtes de scène consommées, en sort dégraissé, à la souplesse faunesque virtuose, d'une parfaite acuité dans l'ironie mais aussi d'une tendresse lunaire, d'une magie aux sortilèges renouvelés de note en note, de mot en mot.
 
 
 

Benoît BERGER
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