REDIFFUSION
Pour cette dernière ouverture
de saison au Teatro degli Arcimboldi (la suivante devant retrouver une
Scala restaurée), Riccardo Muti a choisi de poursuivre son exploration
du répertoire pré-verdien avec la création in loco
de la version française du chef-d'oeuvre de Rossini. L'ouvrage n'est
d'ailleurs pas inconnu du public milanais, la version traduite en italien
(1)
ayant été montée épisodiquement à la
Scala (la dernière fois en 1979).
Pour l'occasion, le maestro
s'est à nouveau entouré d'une brochette de jeunes chanteurs
qui défendent l'imposant ouvrage avec des bonheurs divers.
Le rôle de Moïse est sans doute
le moins "payant" : pas de grand air ni de véritable scène,
beaucoup de déclamation et une présence constante sur le
plateau. Il faut donc un présence, une maturité ou un charisme
hors du commun pour triompher de ce rôle : à côté
de pointures comme Rossi-lemeni, Ghiaurov ou Ramey (jeune, mais déjà
idéal), Ildar Abdrazakov fait franchement pâle figure, d'autant
que son français est à plusieurs endroits insuffisant. Dans
ces conditions, son Moïse n'est plus qu'un faire-valoir sans grand
intérêt.
Erwin Schrott est certainement d'une
autre pointure en Pharaon ; plus impressionnant, il reste un peu frustre
au niveau du style.
Sonia Ganassi aborde Sinaïde dans
une vision plutôt belcantiste (pour une fois que le maestro
autorise les variations dans les reprises des chanteurs, il faut en profiter)
: voix homogène, chant stylé et belle vocalise, mais on serait
sans doute davantage convaincu dans un théâtre de dimensions
plus modestes ; ici, le Parisien que je suis regrette fort la puissance
de Shirley Verrett en 1983.
Fraîchement (et injustement) accueillie
à la première, Barbara Frittoli campe une Anaï de grande
classe à défaut de grande émotion ; à noter
que les aigus parfois légèrement trop couverts sonnent un
peu sourds.
Présenté comme un ancien
élève d'Alfredo Kraus, Giuseppe Filianoti est la vraie révélation
de la soirée : malgré un timbre un peu passe-partout, sa
vaillance et sa puissance, notamment dans le suraigu, emportent l'adhésion
et soulèvent l'enthousiasme de la salle. Un talent à suivre.
Je ne citerai pas dans le détail
les seconds rôles : ils sont excellents.
A la baguette, Muti impose une direction
originale en tirant l'opéra vers des ouvrages postérieurs,
là où un Georges Prêtre, à l'inverse, l'ancrait
dans un romantisme plus abouti.
La justesse d'une telle vision suppose
une continuité de l'évolution des styles, démentie
par l'expérience : Rossini n'a jamais composé comme Gluck
ou Spontini. La démarche reste intéressante, mais on est
loin du coup de génie de son Fidelio. Muti n'arrive pas à
instaurer une véritable tension dramatique et la soirée s'en
ressent, même s'il est difficile de s'ennuyer avec une aussi belle
musique. A noter enfin une "Prière" d'un tempo hédoniste
beaucoup trop lent : on a l'impression que Riccardo essaie de nous refaire
du "Va pensiero", mais il tombe à côté de la plaque.
L'oeuvre est donnée dans sa version intégrale, incluant les
ballets (1).
Au sujet des ballets, précisément,
nous dirons qu'on a connu l'excellent Micha van Hoecke plus inspiré
: quelques gesticulations dans les ensembles, une soliste qui se trémousse
et danse avec elle-même sur la partie haute du plateau et une espèce
de duel entre les solistes masculins (l'un habillé en Égyptien
et l'autre en jupette du Couvent des Oiseaux (2))...
le tout handicapé par un décor inadapté (trop étroit
en contrebas, farci de fausses dunes en partie supérieure).
Le 28 septembre 1983, Massimo Biogankino
ouvrait sa première saison à l'Opéra de Paris en ressuscitant
le chef-d'oeuvre de Rossini, sobrement renommé "Moïse".Le souvenir
de cette soirée qui devait se terminer en triomphe s'est imprimé
dans la mémoire : Samuel Ramey dans le rôle-titre, Jean-Philippe
Lafont en Pharaon, Cecilia Gasdia en Anaï, Keith Lewis en Aménophis
(un certain Chris Merritt en assurait la doublure...), le grand retour
de Shirley Verrett en somptueuse Sinaide et celui de Georges Prêtre,
étonnant maître d'oeuvre dans un répertoire où
on ne l'attendait pas.
Quelle surprise donc de voir le rideau
se lever sur... la même production ! (3)
Une fois passé cet étonnement, on retrouve avec plaisir le
magnifique décor de Gianni Quaranta : pour l'essentiel, l'intérieur
d'une sorte de cathédrale envahie par les sables, avec un jeu d'orgues
en arrière plan. Seul changement par rapport à l'édition
parisienne, l'ouverture de la Mer Rouge à la fin de l'acte IV :
à Paris, la partie centrale du décor (surélevé
par rapport au plateau) descendait pour laisser le passage aux Hébreux
; ici, c'est toute cette partie supérieure qui pivote pour former
des vagues gigantesques, lesquelles s'écartent ensuite devant Moïse.
Les costumes combinent l'hollywoodien
pour les Égyptiens, les vêtements juifs traditionnels pour
les Hébreux et quelques soutanes (réminiscence de l'expulsion
des jésuites ?).
Comme souvent chez Ronconi, la direction
d'acteur reste assez statique, ce qui n'est pas gênant pour cet ouvrage
et l'ensemble marche aussi bien qu'en 83 : parfois, mieux vaut une bonne
rediffusion qu'une mauvaise création ! (4)
Placido CARREROTTI
(1) L'édition de
Paris en 1983 ne comportait pas les morceaux chorégraphiques ; le
duo Aménophis/Pharaon, entendu à la générale
et dont il subsiste une bande, fut coupé à la première
car l'Opéra avait peur qu'un ouvrage trop long dans un répertoire
si méconnu des Parisiens fut mal reçu !
(2) Le superbe Roberto Bolle,
qui n'y perd en rien sa virilité ...
(3) Le programme n'hésite
pourtant pas à parler de "nouvelle production" sans aucune référence
au travail de Ronconi pour Paris.
(4) En risquant, par exemple,
un rapprochement caricatural avec la situation actuelle au Proche Orient
: Sharon en Pharaon et Arafat en Moïse !