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PESARO
18/08/06
© Amati Bacciardi
Wolfgang Amadeus Mozart (1756 – 1791)
DIE SCHULDIGKEIT DES ERSTEN GEBOTS
Le Devoir du premier commandement
Singspiel sacré (1767)
Livret de Ignaz Anton Weiser
Mise en scène, décors et costumes : Giovanni Agostinucci
Giustizia : Maria Gortsevskaya
Misericordia : Gemma Bertagnolli
Spirito mondano : Corinna Mologni
Spirito cristiano : Ferdinand Von Bothmer
Cristiano : Saimir Pirgu
Gioachino Rossini (1792 – 1868)
LA CAMBIALE DI MATRIMONIO
Mariage par lettre de change
Farce comique en un acte (1810)
Livret de Gaetano Rossi
Mise en scène : Luigi Squarzina
Reprise de la mise en scène : Giovanni Scandella
Décors et costumes : Giovanni Agostinucci
Tobia Mill : Paolo Bordogna
Fanny : Désirée Rancatore
Edoardo Milfort : Saimir Pirgu
Slook : Fabio Maria Capitanucci
Norton : Enrico Maria Marabelli
Clarina : Maria Gortsevskaya
Orchestre Haydn di Bolzano e Trento
Direction musicale : Umberto Benedetti Michelangeli
Pesaro, BPA Palas, le 18 août 2006, 20h
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Coup double
Pour des coups d’essai, ce furent des coups de
maître ! En confrontant la première tentative lyrique
de l’enfant Mozart — compositeur décidément
incontournable cette année — avec celle du jeune cygne de
Pesaro, le 27e festival Rossini nous en redonne la preuve. Car bien
qu’il s’agisse d’œuvres d’extrême
jeunesse — ils ont respectivement 11 et 18 ans — les
germes du « génie » propre à la
musique de chacun jaillissent comme par surprise pour le plaisir du
mélomane à l’affût du moindre indice
musicologique.
L’idée n’est pas nouvelle ; les deux ouvrages
avaient été présentés ensemble à
Pesaro en 1991 et Giovanni Agostinucci en signait déjà le
décor et les costumes. Cette édition 2006 utilise comme
point de départ la mise en scène de La Cambiale del matrimonio
par Luigi Squarzina en 1995, avec d’ailleurs la participation du
même décorateur. À partir des
éléments de cette production, Giovanni Agostinucci
— toujours lui — élabore le cadre et la
scénographie de Die Schuldigkeit des ersten Gebots
avec suffisamment de subtilité pour faire oublier les onze
années qui séparent les deux réalisations..
Le rideau se lève sur une bourrasque qui projette trois couples
de promeneurs à l’intérieur d’une
église en ruine. La leçon de catéchisme du jeune
Mozart prend place dans ce paysage à la Hubert Robert
qu’habitent, comme dans un livre d’enfant,
allégories pompéiennes, chevalier médiéval
et perruques poudrées du XVIIIe siècle.
L’apparition finale d’un immense ostensoir doré
constitue le clou d’un spectacle dont la beauté visuelle
est indéniable.
Musicalement, le compositeur fourbit ses armes lyriques à travers les conventions de l’opera seria. L’œuvre consiste en une succession d’arias
– une par rôle, deux pour les Esprits mondain et
chrétien - séparées par des récitatifs,
accompagnés ou non. Un trio, unique ensemble de la partition,
sert de conclusion. Ces huit numéros,
d’intérêt inégal, requièrent pour la
plupart une technique rompue aux exercices les plus
périlleux : vocalises acrobatiques, suraigus, notes
piquées, roulades, etc.
Si la maîtrise de Gemma Bertagnolli en matière
d’ornementation ne représente pas une surprise, si Maria
Gortsevskava, cantatrice moins connue, combine aussi chaleur, rondeur
et virtuosité, Corinna Mologni peine à rendre justice
à un rôle dont l’exigence est redoutable –
l’Esprit mondain se révèle déjà fille
de la reine de la nuit. Le timbre, terne quand il le faudrait brillant,
sans doute un peu fatigué en cette fin de festival, ne pallie
pas les déficiences techniques.
La confrontation des deux ténors met en valeur la
séduction et l’élégance de Saimir Pirgu.
Ferdinand Von Bothmer se révèle plus austère,
moins chatoyant. Cette approche ne disconvient pas à
l’Esprit chrétien dont l’hédonisme, on le
sait, n’est pas la règle. Quoi qu’il en soit, la
pénitence s’avère plutôt douce. La richesse
mélodique emporte plus d’une fois l’auditeur,
l’intelligence de la mise en scène suppléant aux
quelques longueurs.
Après l’entracte : changement de registre, changement
d’humeur, changement de décor. Une table avec
écritoire côté cour et une grosse mappemonde
côté jardin se détachent devant un immense rideau
rouge mouvant qui laisse entrevoir une joyeuse agitation. Ce rideau
s’ouvre sur un vaste magasin d’étoffes multicolores
empilées sur de gigantesques étagères, Au fond, on
devine l’activité portuaire intense, telle qu’on
l’imagine à la grande époque de la marine à
voile. On est surpris et ravi de reconnaître le dispositif
scénique de Die Schuldigkeit des ersten Gebots, transformé comme par magie en un magnifique décor de comédie.
Le livret de Gaetano Rossi, confié au jeune Rossini, suite
à la défection d’un autre compositeur initialement
prévu pour mettre en musique cette « farsa
giocosa », n’est pas sans rappeler l’intrigue du
Mariage secret. Il
s’agit de conclure un mariage comme on traiterait une affaire
commerciale. Un négociant anglais, avide de s’enrichir
davantage a vendu sa propre fille sur lettre de change à un
américain fortuné. Naturellement, la jeune fille a
déjà le cœur pris. Heureusement, l’acheteur
est compréhensif et très généreux. Tout
finira par s’arranger pour le bonheur de chacun.
Bien qu’on entende les échos de son grand Maître,
Joseph Haydn, Rossini par son invention mélodique, son
excitation rythmique sans précédent, apporte un sang
nouveau. On n’est pas encore dans le vrai bel canto
sensuel, avec tous ses ornements ludiques et la parfaite maîtrise
d’un équilibre fusionnel entre voix et instruments, mais
les prémices y sont. D’ailleurs, dès la
première représentation de ce coup d’essai au
théâtre San Moisè de Venise, le succès fut
immédiat.
Dans le rôle de Clarina, la mezzo russe Maria Gortsevskaya
confirme ses qualités. Son duo d’exposition avec le
baryton Enrico Maria Marabelli (Norton) est fort agréable. Les
deux jeunes chanteurs qui tiennent les rôles de basses bouffes le
font avec talent et assurance, leur duo est bien en place. Paolo
Bordogna (Mill) a une voix puissante, Fabio Maria Capitanucci (Slook)
de la prestance dans son extravagance, le jeune ténor Saimir
Pirgu (Edoardo) une jolie tournure. Quant à
Désirée Rancatore (Fanny), elle est simplement
charmante ; la voix petite et insuffisamment projetée,
déséquilibre les ensembles. Et, au lieu
d’évoquer une jeune première espiègle et
coquette, elle fait plutôt penser à une jolie soubrette.
En général, la distribution est satisfaisante sans offrir
de prouesses vocales. Mais il faut avouer que l’œuvre,
presque plus théâtrale que lyrique, ne s’y
prête guère.
Pour conclure, si la filiation musicale entre Mozart et Rossini est
manifeste, l’association de leurs premiers opéras
s’avère moins évidente. Par leur thème
— leçon de morale d’un côté, pochade de
l’autre —, par leur construction – opera seria versus opera buffa
— et malgré un beau décor en forme de trait
d’union, les deux œuvres ne correspondent aucunement et,
pour ces premiers « coups », plutôt
qu’une seule bonne soirée, on en passe deux.
Brigitte Cormier & Christophe Rizoud
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