Lorsque l'Opéra de Montréal
avait donné Nabucco en 1992, je n'avais conservé que le souvenir
de la belle prestation de Linda Roark-Strummer dans le rôle d'Abigaille.
Pourtant la soirée m'avait semblé longue. Pour la reprise
de cette année, la publicité laissait croire que l'Opéra
de Montréal allait y mettre le paquet. Or, dans l'ensemble, ce fut
une déception et le public présent à la troisième
représentation ne s'y est pas trompé ; après le premier
acte et davantage encore après le deuxième, plusieurs personnes
ont quitté la salle. C'est pourtant aux troisième et quatrième
actes regroupés que les choses se sont légèrement
améliorées et qu'on a commencé à ressentir
un peu d'émotion.
Du côté des chanteurs,
la soprano dramatique américaine Susan Neves domine le plateau d'une
voix somptueuse et d'un timbre magnifique ; si elle n'investit pas beaucoup
dans le rôle d'Abigaille, c'est quand même elle qui donne le
plus de caractère au personnage qu'elle incarne ; c'est tout dire.
Gaetan Laperrière se définit comme un baryton Verdi, ce qu'il
est sans doute, mais sa voix est mal projetée. En plus d'être
incapable d'exprimer les divers états d'âme de Nabucco, son
jeu reste figé et mal orienté. Stefan Szkafarowsky dans Zaccaria
manque totalement d'ampleur et de noblesse. Sa voix bouge beaucoup et manque
carrément d'homogénéité. Dans son cas, l'investissement
dramatique est tellement pitoyable qu'on se demande s'il saisit l'importance
du personnage qu'il est sensé incarner. Michelle Sutton est faible
de voix et de jeu. On l'entend à peine dans les moments où
elle chante seule et pas du tout dans les ensembles. Quant à Louis
Langelier, il bêle son Ismaele tout au long de la soirée.
Des costumes d'un goût douteux,
des décors faits de hautes portes brunes sur la droite avec, en
fond de scène, de grandes tapisseries au premier acte et de larges
écrans dans les autres, ne contribuent en rien à rendre intéressante
la qualité visuelle du spectacle.
Le véritable intérêt
de cette représentation réside dans la direction lumineuse
de Christian Badea et dans la préparation des choeurs. C'est l'Orchestre
Symphonique de Montréal qu'on retrouve habituellement dans la fosse,
mais pour l'occasion, l'Orchestre Métropolitain, le deuxième
en importance à Montréal, a joué aussi bien que l'OSM
dans ses meilleurs moments. Les sonorités que Badea en tire, particulièrement
chez les vents, sont la véritable surprise de la soirée.
Comme toujours, les Choeurs de l'Opéra de Montréal font honneur
à leur réputation. C'est dans leur prestation qu'on retrouve
des moments d'émotion et comme les choeurs sont omniprésents
dans Nabucco, en particulier dans les deux derniers actes, on peut affirmer,
qu'avec l'orchestre, ils sauvent la soirée d'un ennui total.
Du côté de la mise en
scène, on reste pantois. Les choristes bougent sur scène
sans raison, à l'image des principaux protagonistes qui, tout au
long de l'opéra, sont projetés au sol et à qui on
n'a pas enseigné l'art de tomber. Zaccaria, retenus par deux soldats,
est rossé de la plus ridicule façon au troisième acte
(on aurait cru voir une scène d'un film de gansters et dans mon
coin de salle, on se tordait). Pour le reste, les chanteurs sont laissés
à eux-mêmes et lorsqu'il y a foule sur scène, on les
perd parfois de vue. Si on arrive à les repérer c'est grâce
à des éclairages braqués sur eux. Tout cela gêne
considérablement l'attention et n'aide en rien à relever
le niveau d'une production qui, scéniquement, manque complètement
d'imagination.
L'Opéra de Montréal a
voulu célébrer le centenaire de la mort de Verdi avec cette
reprise de Nabucco, mais le compositeur a plutôt été
mal servi par une distribution qui, à l'exception de Neves, n'a
pas montré beaucoup d'enthousiasme pour l'oeuvre. S'il nous reste
en mémoire la vigueur et l'époustouflante beauté de
certaines mélodies, cela ne suffit pas à dissiper l'ennui
souvent ressenti pendant la soirée.
Réal BOUCHER