Le
Festival d'Avenches au sommet
Le Festival d'opéra d'Avenches,
souvent affublé du qualificatif de "petit Vérone", se bat
depuis 11 ans pour trouver la renommée. Après des débuts
hésitants, sinon catastrophiques, des années de malchance
en raison de météos capricieuses (Avenches n'est pas une
station balnéaire), des années aventureuses à cause
de programmations hasardeuses, voire prétentieuses, l'édition
2005 semble enfin tenir le bon bout de la chandelle. L'orchestre attaché
au Festival est en progrès constant, la mise en scène et
les décors ont trouvé les artisans idéals pour des
arènes romaines, les solistes sont d'un niveau international, des
atouts qui démontrent la capacité du Festival de se hisser
au niveau des meilleurs rendez-vous lyriques estivaux.
Certes, Nabucco de Giuseppe
Verdi est un opéra de festival. Populaire par son simple choeur
des Hébreux, cette oeuvre révèle pourtant des trésors
de musique opérant leur magie sur le public. Mais au-delà,
décors, costumes et solistes sont des éléments majeurs.
Encore faut-il qu'ils s'intègrent dans un ensemble cohérent
sans le tape à l'oeil si souvent rencontré dans cet opéra.
En s'entourant d'artistes susceptibles de magnifier l'oeuvre de Verdi,
Sergio Fontana, le directeur artistique de la manifestation avenchoise,
a réalisé un bel exploit.
Sur une scène de très
grande ouverture, seuls des décorateurs rompus à ce genre
d'exercice sont à même de proposer un décor efficace,
une machinerie simple, et des éclairages intelligents. Son rempart
de briques flanqué de deux portes dorées s'échappant
sur un majestueux escalier central vers les deux battants d'une porte coulissante
s'avère bien conçu pour le passage des nombreux acteurs et
figurants qui habitent la scène. Avec ses éclairages passant
subtilement de l'aube tombante à la nuit, s'infiltrant avec finesse
dans l'ambiance de l'opéra, Alfredo Troisi (décors, costumes
et lumières) réalise l'accord parfait. Usant tantôt
de spots, tantôt de lumières diffuses, il donne vie à
l'action qu'elle soit intime ou grandiose, comme avec le fameux choeur
des Hébreux. Tirant habilement profit du mur de briques quelque
peu disgracieux du Musée archéologique en bordure des arènes,
il habille cet écran géant en projetant des symboles assyriens
ou juifs comme un surtitrage à l'opéra. Dans sa mise en scène,
Pier Francesco Maestrini ne sombre pas dans le kitsch des productions véronaises
à grand spectacle. Certes, les choeurs sont imposants mais jamais
envahissants. Dans leurs beaux costumes, les protagonistes sont à
l'aise. La direction d'acteurs est discrète et sensible, à
l'image de la scène finale entre Nabucco et Abigaïlle qui se
développe dans un climat d'intense émotion.
© DR
A ce jeu-là, la plupart des
chanteurs s'investissent au mieux de leurs moyens vocaux et théâtraux,
le plateau restant "catalysé" par les présences charismatiques
d'un Leo Nucci (Nabucco) radieux et d'une Paoletta Marrocu (Abigaïlle)
délirante. A eux deux, ils tiennent le spectacle. Dommage qu'Alfredo
Zanazzo (Zaccaria) montre d'aussi évidents signes de faiblesse qui
rendent parfois pénible l'audition et que le style à l'emporte-pièce
du ténor polonais Valter Borin (Ismaele) s'accommode mal de l'oeuvre
verdienne encore proche du belcanto. Quant aux autres protagonistes, ils
sont sans grand relief, sauf la soprano suisse Evelyn Meier (Anna), dont
l'excellente vocalité perce le plateau lors de ses trop rares interventions.
C'est la présence électrique
du baryton italien Leo Nucci dans un Nabucco désarçonnant
d'humanité qui reste le moment fort de cette soirée. Jusqu'au
moment de son blasphème, son Nabucco revêt une voix à
l'autorité phénoménale, collant à l'arrogance
du personnage. Puis, quand la folie le gagne, l'artiste plonge dans ses
ressources émotionnelles pour se faire plus intime, plus intérieur.
C'est alors que le baryton captive son public : dans un souffle de voix
qui se perpétue jusqu'aux derniers rangs de l'arène, il chante
sa détresse.
Qui donc affirme que les voix verdiennes
n'existent plus ? Avec Paoletta Marrocu, le théâtre lyrique
tient un cinglant démenti. De sa voix claire, puissante mais tout
aussi capable d'offrir quelques pianissimi "caballiens", la soprano
italienne s'empare crânement du terrible rôle d'Abigaïlle
et se hisse au niveau de ses plus célèbres devancières.
Se jouant des écueils de ce rôle assassin, elle imprime à
son interprétation une fougue, une force de persuasion, une sensibilité
qui n'est pas sans rappeler une certaine Abigaïlle que Maria Callas
donnait à Rome en 1949. En symbiose totale avec l'esprit insufflé
par Leo Nucci, Paoletta Marrocu se surpasse constamment. En lumineuse comédienne,
elle seconde sa voix des gestes et des regards d'une actrice habitée.
Quelques jours plus tard, c'était
Renato Bruson qui reprenait le flambeau laissé par Leo Nucci. Malheureusement,
le baryton mythique de la scène lyrique a offert un spectacle vocal
désolant. Usée, sa voix laisse apparaître un large
et insupportable vibrato. Balançant les bras désespérément,
marchant à grandes enjambées sur la scène, Renato
Bruson tente de pallier ses carences par un jeu scénique qui tourne
au ridicule. Episode navrant de la fin de carrière d'un chanteur
qui dessert l'aura dont il a si pleinement joui jusqu'ici.
Jacuqes SCHMITT