Ce 10 juillet, tout laissait présager
du pire : une météo incertaine, un baryton souffrant, une
pluie fine, persistante mais passagère qui obligea à retarder
d'une bonne demi-heure le spectacle...
Mais, miracle du lieu, c'est dans
une ambiance survoltée et bon enfant (on ne dira jamais assez que
certains soirs le public a aussi du talent) que Pinchas Steinberg monta
au pupitre et attaqua l'une des plus célèbres ouvertures
de l'opéra italien.
Nabucco ouvrait donc en fanfare
les Chorégies 2004. Faut-il revenir sur l'intelligence et le métier
de Charles Roubaud dans la direction des acteurs et le maniement des foules
? Le Marseillais déploie un grand livre d'images colorées
et fortes pour le plus grand bonheur de spectateurs avides de photos souvenir,
dans un luxe de costumes rutilants (Katia Duflot) qui donnent soudain une
dimension supplémentaire. A la naïveté de certaines
situations, au caractère "bande dessinée" des personnages,
correspond aussi une expression grandiloquente, large de geste, qui n'est
pas déplacée dans ce cadre magique. Les mouvements de foule
sont expressifs, parfois bruyants, l'usage épisodique des machines
d'une belle efficacité.
Vocalement, on frise la perfection.
Lado Ataneli (le Scarpia genevois de l'ère Auphan) annoncé
comme souffrant domine le rôle-titre avec éclat. Le timbre
est harmonieux (bien que fatigué en fin de soirée), la technique
irréprochable, l'interprétation musicale et dramatique d'un
impact saisissant.
Avec quelle aisance et quelle autorité
Giacomo Prestia se promène sur les deux octaves du terrible rôle
de Zaccaria, dans la plus pure tradition des grandes basses italiennes
: celle des Pinza, celle des Nazareno de Angelis... Misha Didyk, la voix
un peu incertaine en début de représentation, a la robustesse
de cet Ismael qui n'est pas le ténor le plus complexe du répertoire.
En Fenena, Béatrice Uria-Monzon achève de nous séduire.
Une interprète de grand luxe pour un personnage secondaire qui,
soudain, prend une envergure inattendue. Encore une fois, charme et délicatesse
s'allient à une réelle présence.
Susan Neves en Abigaïl ? On
connaît la tessiture terrifiante du rôle qui, d'ailleurs, avait
coûté sa voix à la créatrice du rôle,
la célèbre Strepponi, future épouse de Verdi.
La soprano américaine déploie
une voix immense, un fleuve de puissance et de beauté. Les vocalises
précises et légères sont un régal, les ut lancés
sans l'ombre d'un effort. Une leçon vocale de grande classe, Susan
Neves apportant de plus son raffinement d'interprète du bel canto
romantique
(auquel le rôle appartient tout entier).
Enrico Turco, Ghylaine Girard et
Leonard Pezzino, contribution nationale à un cast somme toute international,
ne déméritent pas. Triomphe justifié pour les Choeurs
(Nice, Toulouse, Avignon) par l'importance de leur rôle et le degré
d'accomplissement avec lequel ils le tiennent. La direction de Pinchas
Steinberg, à la tête d'un Orchestre de la Suisse Romande des
grands soirs, d'une contagieuse vaillance est impressionnante de justesse,
d'équilibre, de vitalité. Tel un message de vie, d'idéologie,
d'espoir. Exactement ce que souhaitait Verdi.
Christian COLOMBEAU