Jusqu'à présent, l'Opéra
de Montréal a toujours monté Le Nozze di Figaro de
façon routinière et généralement dans une scénographie
qui manquait d'imagination. On se demandait donc si cette nouvelle production
allait être à la hauteur du génie de Mozart et surtout,
si nos attentes en matière de chant allaient être comblées.
Sur presque toute la ligne et malgré quelques faiblesses, ce fut
une belle réalisation.
Pour ses adieux à l'Opéra
de Montréal, Bernard Uzan livre une mise en scène très
stylisée, fidèle à l'oeuvre de Beaumarchais et en
même temps sensible aux moindres inflexions de la musique de Mozart.
Nous avons là un plateau qui bouge continuellement, sans un temps
d'arrêt, même quand les airs le commanderaient. Les jeux de
scènes sont nombreux et variés et, d'entrée de jeu,
les situations comiques prennent le dessus. Cette attention se maintient
tout au long de la soirée grâce à un théâtre
parfaitement rodé et articulé ; c'est sans doute ce qui en
fait une des meilleures productions de l'Opéra de Montréal
depuis les dix dernières années.
Les décors respectent l'esprit
de l'oeuvre. Deux colonnes de chaque côté de la scène.
L'une porte une guillotine à son sommet, l'autre les insignes de
la monarchie française. De grands panneaux placés à
l'arrière sur lesquels sont inscrites la Déclaration d'indépendance
de 1776 et la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de
1789. L'époque se prête volontiers à la contestation
et les symboles sont là pour le rappeler. Toute la scénographie
invite d'ailleurs à la réflexion, et loin de nuire à
la pensée de l'ouvrage, elle en fait, au contraire, ressortir les
aspects dramatiques. Des accessoires, que des figurants en costumes d'époque
changent ou déplacent régulièrement, accentuent l'impression
globale de mouvement et dynamisent la production.
La même animation se retrouve
à l'orchestre et dans la direction contrastée de James Meena
qui donne un élan irrésistible à ces Noces,
véritable monument de tendresse et d'infinies beautés. Lorsqu'on
réussit à traduire avec une telle finesse les divers sentiments
qui courent dans la partition, c'est qu'on accorde beaucoup d'attention
à la psychologie des personnages, un des aspects fondamentaux de
l'opéra. On a noté quelques fautes chez les cors, mais rien
de bien dérangeant pour l'oreille.
© Opéra de Montréal
Sur le plan vocal, Russell Braun domine
la distribution, incarnant avec panache un comte tour à tour arrogant,
tendre, passionné. Son baryton, magnifique, se plie avec aisance
aux nuances du rôle : il nous montre un homme envahi par la passion
et qui prend vite des allures de personnage frustré. Mais quelle
tendresse lorsqu'il exprime le remord : le "Contessa perdonno" de la fin
de l'opéra devient un frémissement, un éblouissement
d'amour. Doté du physique de l'emploi, son implication dramatique
est totale.
La comtesse de Wendy Nielsen est loin
d'être aussi convaincante, vocalement et scéniquement. Sa
voix un peu acide est affligée d'un large vibrato qui agace
et, chez Mozart en particulier, ne pardonne pas. De plus, elle ne prend
pas les attitudes d'une figure de son rang. C'est le maillon faible de
la distribution.
En Figaro, Robert Gierlach est splendide
de voix et de jeu. Une voix qui porte bien, même si elle n'est pas
très puissante, un jeu qui se caractérise par une présence
scénique toujours naturelle et d'un comique irrésistible.
Karen Driscoll campe une Susanna valable, mais la voix est frêle
et plus le spectacle avance, plus elle se fait stridente.
Michèle Losier a tous les atouts
pour devenir un Cherubino de grande classe. Le timbre est superbe et l'émission
vocale généreuse. On remarque à peine ici et là
un léger manque de souplesse qui n'affecte en rien l'excellence
de sa prestation. Les rôles secondaires sont tenus de façon
exemplaire. On note en particulier la Marcellina de Marion Pratnicki, drôle
à souhait. Les interventions des choristes sont tout à fait
remarquables.
Cette production apporte à l'Opéra
de Montréal un souffle de fraîcheur dont il a bien besoin
pour retrouver un peu de son éclat et retenir les abonnés
qui se plaignent de la faiblesse de certaines distributions. À cet
égard, cette vingt-quatrième saison débute sur le
bon pied ; encore quelques aménagements et à l'avenir, le
public pourra apprécier pleinement les qualités de la troupe.
Réal BOUCHER