La bonne occase
Rossini a 20 ans. Son génie
mélodique semble inépuisable. Son énergie est formidable.
En cette année 1812, il ne compose pas moins de 5 opéras
! Parmi eux, L'occasione fa il ladro. Il s'agit d'une farce musicale,
genre mineur dérivé de l'intermezzo du XVIIIème
siècle. Un acte, un orchestre réduit, de 5 à 6 personnages,
notre jeune compositeur y trouve l'occasion de fourbir ses armes. Les cordes
frémissent déjà, les bois tourbillonnent, les voix
s'entremêlent joyeusement, le crescendo emporte le morceau.
Une année après surviendra Tancredi. L'Europe est prête
à s'enflammer.
Le livret n'est pas le point fort de
la pièce. Il provient d'une des premières comédies
d'Eugène Scribe et raconte l'imbroglio amoureux que provoque un
échange de valises. Pour mettre un peu de Tabasco dans l'histoire,
Dan Jemmet, le metteur en scène, a choisi de transporter l'action
de Naples au Far West. Les costumes semblent provenir d'un album
de Lucky Luke ou d'un épisode des Mystères de l'Ouest.
On retrouve d'ailleurs le wagon de James West au centre de la scène
avec ses portes qui claquent comme dans le meilleur des vaudevilles. Plantation
de cactus, lancer de lasso, simulation d'une chevauchée effrénée
participent au dépaysement. Le sens de cette transposition reste
inexpliqué. Une manière de se mettre au diapason de la fantaisie
rossinienne, peut-être... Heureusement, la pièce en sort indemne,
ni plus drôle, ni moins car, comme toujours chez Rossini, le ressort
comique se trouve avant tout dans la musique. Il est difficile de lui voler
la vedette.
La musique, justement, est tenue de
main de maître par Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus.
Souvenez-vous, leur Orlando Furioso de Vivaldi en octobre dernier
sur la même scène fut une révélation. Le chef
d'orchestre, Marie-Nicole Lemieux à sa droite, Philippe Jarrousky
à sa gauche, ressuscitait la partition en nous prouvant qu'il y
avait un après Marylin Horne (1). Il est ce
soir un cran en dessous. Obligatoirement. On ne peut pas toujours flirter
avec les cimes. Quelques décalages, quelques dissonances inattendues
dans ce répertoire sont péchés véniels en regard
de l'énergie qui se dégage de la fosse. Car l'orchestre jubile.
A 20 ans, Rossini n'en demande pas plus.
(Benoît Bénichou
- Jacques Catalayud)
© Alain Monot
Les jeunes chanteurs français
qui composent le plateau seront-ils les grands interprètes belcantistes
de demain ? Je n'en mettrai pas mon clavier au feu. Mais la distribution
est homogène. Enthousiaste aussi. Leur plaisir de jouer, de chanter
est communicatif. Benoît Benichou emporte la palme. La voix
est plus que légère mais élégante, agile avec
une grande aisance dans le registre aigu. Son comte Alberto ne fréquente
pas assidûment les salles de musculation mais sa fragilité
fait son charme et appartient finalement au personnage. Son coeur bat pour
la Bérénice de Chantal Perraud. L'amour serait-t-il
sourd, lui qui est déjà aveugle ? Car le timbre de la soprano
manque cruellement de séduction. Les écueils de la partition
sont toutefois courageusement affrontés et surmontés. Reste
une héroïne plus proche de la mégère que de l'amoureuse.
Le chant fruste de Jacques Catalayud rend Don Parmenione trop plébéien.
L'homme est un aventurier certes, mais avec du panache. Il se doit d'appartenir
à la famille d'un Dandini (2) ou d'un Figaro
(3) même, dont la finesse n'est pas à
démontrer. La filiation n'est pas ici évidente. Chantal
Santon, Jean-Claude Saragosse, Eric Tremolières leur donnent
honorablement la réplique avec, pour ce dernier, un accent "alla
francese" que ne renierait pas Don Profondo au 2ème acte d'Il
Viaggio a Reims. Heureusement, les défauts de chacun disparaissent
lorsque les voix se confondent dans ces merveilleux duos, trios, quintette
qui font tout le prix de la partition.
Au tomber de rideau, les chanteurs
viennent saluer ensemble, démontrant, s'il était encore nécessaire,
l'esprit d'équipe qui porte le spectacle. Le public applaudit sans
retenue, car "l'occasione" était plutôt bonne. Pour ceux qui
voudraient en juger par eux-mêmes, une retransmission sur France
Musiques est prévue le 30 juin prochain.
Christophe RIZOUD
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(1) Erato, 1977,
direction Claudio Scimone avec aussi Victoria De Los Angeles, Lucia Valentini-Terrani,
Sesto Bruscantini.
(2) La Cenerentola
(3) Il barbiere di Seviglia