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BRUXELLES
07/03/03

(Pierre Bartholomée)

Oedipe sur le route

Opéra en quatre actes de Pierre Bartholomée
D'après le roman d'Henry Bauchau

Livret d'Henry Bauchau

Direction musicale : Daniele Callegari
Mise en scène : Philippe Sireuil
Décors : Vincent Lemaire
Costumes : Jorge Jara
Chorégraphie : Matteo Moles
Chef des choeurs : Renato Balsadonna


(José Van Dam)

Oedipe : José Van Dam
Antigone : Valentina Valente
Clios : Jean-Francis Monvoisin
Diotime : Hanna Schaer
Calliope : Ruby Philogene

Orchestre symphonique et Choeurs de La Monnaie
Nouvelle production
Création mondiale

Bruxelles, Théâtre de la Monnaie, 7 Mars 2003


Evénement important, bien sûr, que la création mondiale, dans le cadre du festival annuel de musique contemporaine "Ars Musica", du premier opéra de Pierre Bartholomée, Oedipe sur la route. Pierre Bartholomée, connu du grand public pour sa longue direction (22 ans !) à l'Orchestre philharmonique de Liège, est l'une des figures majeures de la musique belge d'aujourd'hui, avec Henri Pousseur et Philippe Boesmans. Contrairement à ce dernier, qui écrit actuellement son quatrième opéra, Bartholomée n'avait jamais tâté de la chose lyrique. Coup d'essai, coup de maître ? Sans doute, à juger par l'enthousiasme du public, nombreux à cette importante première. Le compositeur était déjà l'auteur d'un oratorio (Ludus Sapientiae, créé en 2001 par Jordi Savall à l'occasion du 575e anniversaire de l'Université catholique de Louvain), et d'un monologue pour soprano et petit orchestre, inspiré déjà d'Henry Bauchau. Ce dernier, écrivain et psychothérapeute, professeur à l'université de Paris-VII, fit paraître Oedipe sur la route en 1990, roman passionné que Bartholomée lut cinq ans plus tard et qu'il décida d'immédiatement adapter à la scène.

L'opéra conte l'itinéraire du roi déchu entre Thèbes et Athènes, comblant le "trou" laissé par Sophocle entres ses deux pièces Oedipe Roi et Oedipe à Colone. Aucune action, sinon intérieure. En voici le bref synopsis. Acte I : OEdipe et Antigone quittent Thèbes. Ils rencontrent Clios, un bandit hors-la-loi pour avoir tué un ami. Il les accompagne. Acte II : Oedipe sculpte une immense vague dans la falaise. Acte III : Invité par Diotime au Solstice d'été, Oedipe raconte son histoire, mais est atteint par la maladie. Il sera sauvé par Calliope. Acte IV : Arrivé à Athènes après avoir vu Sophocle en songe, il est accueilli par le roi Thésée. Clios lui peint une route, et il repart...

L'oeuvre est fondée sur un sentiment profond, essentiel : la solitude inhérente à l'Homme, peu importe sa destinée, ne peut être surmontée que par le geste créateur, créateur autant que salvateur. Une vague, par Oedipe, puis une fresque représentant une route, pour Oedipe encore. 

Cette thématique austère est mise en musique en quatre actes brefs (l'opéra dure 2 h 50), chacun séparé par de beaux interludes, à l'instar de Pelléas et Mélisande. Respectant les conventions du genre, Bartholomée prévoit deux longs récits (plutôt qu'"airs") de Clios au I et d'Oedipe au III, et plusieurs ensembles de grande tension (la peste au III) ou d'intense émotion (le départ d'Oedipe au IV). Seule, peut-être, la grande scène de la sculpture de la vague au II manque de l'ampleur requise. Musicalement, le langage du compositeur est tout à fait accessible, atonal sans être sériel, d'une belle poésie et d'un grand raffinement orchestral. Les percussions, entre autres, sont souvent sollicitées, ainsi que le piano et, plus curieusement, le tuba, quasi double instrumental du roi errant. Admirable travail des cordes dans la scène finale, sublimement éclairée.

La mise en scène, sobre et efficace, se concentre sur les tensions/détentes existant entre les trois personnages principaux, creusant leurs tourments par un sens de la gestique presque chorégraphique. Le décor de Vincent Lemaire évolue d'acte en acte. Morne plaine rougeâtre et fissurée de lézardes, il s'élève et devient falaise gigantesque aux ombres menaçantes et aux abîmes tentants. Il s'élargit pour devenir village pour ensuite s'affaisser et revenir à son état initial d'immense plaine, toute illuminée cette fois, se transfigurant en fresque du destin futur : la route d'Oedipe.

Le rôle titulaire, écrasant, est taillé sur mesure pour un José Van Dam friand de ces personnages intériorisés. Son Oedipe, très ressenti et impeccable vocalement, rejoint d'autres incarnations du grand baryton, telles celle du héros d'Enesco, mais aussi Guercoeur ou Saint-François d'Assise, autres nobles figures douloureuses et emblématiques.

La fière Antigone de Valentina Valente est tragique autant que poétique, fille idéale d'un père tant aimé. D'une grande tension vocale, l'écriture de son rôle ne lui pose aucun problème, et elle l'interprète avec une douleur passionnée. Quant au bandit Clios, il est impeccablement incarné par Jean-François Monvoisin, qui affronte avec sûreté son long récit au premier acte, et reste dramatiquement impressionnant tout au long de l'oeuvre. Je m'en voudrais de ne pas citer la belle mezzo Hanna Schaer, Diotime sage et maternelle, ou la piquante Calliope de Ruby Philogene. 

Daniele Callegari dirige les choeurs (présents, mais... "off ") et l'Orchestre symphonique de La Monnaie avec une attention constante pour les mille détails instrumentaux d'une partition très riche, tout en reliant énergiquement les nombreux tableaux de ces quatre actes : un bien beau travail (un exemple : le superbe interlude reliant les actes III et IV, avec son ostinato évoquant la scène de l'incendie dans Semyon Kotko de Prokofiev).

Il est dorénavant, me semble-t-il, inutile de gloser sur l'avenir de l'Opéra. Une oeuvre telle que cet Oedipe sur la route, tout comme le récent Conte d'hiver de Philippe Boesmans, avec un contenu littéraire, musical et spirituel aussi fervent, prouve que le genre passionne toujours les créateurs actuels et, surtout, enthousiasme le public. L'Opéra est plus vivant que jamais.
 
 

Bruno Peeters
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