ORACULA, ORACULAAAAA !!
En 1930, quand l'orchestre symphonique
de Boston commande une grande oeuvre pour choeur et orchestre à
Stravinsky, celui-ci, dans une phase de questionnement théologique
intense, saisit l'occasion de composer une messe. Élevé dans
la plus pure tradition orthodoxe, Stravinsky pense d'abord adopter des
textes de la liturgie slavonne, mais soucieux d'une certaine forme d'impartialité,
il finit par opter pour le latin, langue relativement neutre dans le christianisme.
La Symphonie de psaumes est composée de trois mouvements : Exaudi
orationem meam, Expectans expectavi dominum et Laudate Dominum. Afin de
tourner complètement le dos au mouvement romantique, Stravinsky
élimine de son oeuvre les instruments significatifs de ce mouvement
: violons, altos et clarinettes. La partition se repose donc sur un jeu
de cordes singulièrement sombre et sur des vents onomatopéiques.
Autre singularité, le troisième mouvement n'est pas ponctué
d'interventions tonitruantes du choeur et de l'orchestre, au contraire
tout ce beau monde s'éteint lentement et discrètement, un
à un. L'interprétation de Riccardo Chailly et du concertgebouw
est tout simplement confondante de beauté, quelle maîtrise
dans les cordes, quelle discipline dans les cuivres ! Ajoutons à
cela la maîtrise remarquable du Groot Omroepkoor, qui compte parmi
ses rangs une dizaine de sopranos des plus vaillantes, et nous obtenons
un moment musical qui flirte avec le recueillement.
Oedipus Rex, dont le livret fut écrit
en français par Jean Cocteau, puis traduit en latin par Jean Daniélou,
offre avant tout au fantastique rythmicien qu'était Stravinsky l'occasion
de travailler sur les sonorités rares de cette langue. Les invectives
de Jocaste "oracula oracula" donnent froid dans le dos. Riccardo Chailly,
son orchestre, ses choeurs et ses solistes entraînent le public dans
un crescendo dramatique jusqu'à présent étranger à
cette partition ; tout juste regrettera-t-on les interventions du speaker
qui Concertgebouw oblige s'exprime en néerlandais, une
langue certes amusante avec ses sonorités gutturales de trachéotomie,
mais qui reste auditivement très anecdotique ; l'acteur est pourtant
sérieusement investi par sa tâche et se débrouille
assez bien pour faire passer les intentions du texte qu'il récite
à travers le sabir dont on l'encombre. Robert Dean Smith, qu'on
avait eu la chance d'entendre à la Monnaie dans la dernière
production des Maîtres-chanteurs, confirme tout le bien qu'on pensait
de lui : voix puissante, souple, extrêmement claire ; les réserves
que nous émettions sur son jeu d'acteur se confirment ici par un
statisme de concert relativement risible. Mais vraiment, peu importe. Waltraud
Meier, la plus grande Kundry de ces vingt dernières années,
reste subjugante d'intelligence, elle manie le texte avec une virtuosité
telle que sa Jocaste rencontre enfin le théâtre.
Exploit tout à fait rare au vu des différentes productions
de ces dernières années et des disques que nous possédons.
La voix dont on déplore l'horreur du timbre (horreur très
relative) n'a rien perdu de sa grandeur : solidité, ampleur... Wow
! Défection d'Albert Dohmen remplacé par le baryton-basse
finlandais Juha Uusitalo qui s'acquitte honorablement (seulement) des rôles
de Créon et du messager, même reproche à Jan Hendrik
Rootering (Tirésias) qui pourtant ne démérite pas
non plus.
Bref, une belle soirée.