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GENEVE
24/01/04
Walter BRAUNFELS (1882-1954)
LES OISEAUX
Fantaisie lyrique en deux actes
Livret du compositeur d'après
Aristophane
Nouvelle production
Roman Trekel (Prométhée),
Brett Polegato (La Huppe),
Marlis Petersen (Le Rossignol),
Regina Klepper (Le Roitelet),
Pär Lindskog (Bonespoir),
Duccio Dalmonte (Fidèlami),
Kenneth Cox (L'Aigle et la voix de
Zeus),
+ Deux Grives, trois Hirondelles,
quatre Torcols,
deux Mésanges, un Corbeau,
quatre Colombes,
un Flamant rose, deux Vanneaux, trois
Coucous.
Yannis Kokkos (mise en scène,
décors et costumes)
Patrice Trottier (lumières)
Richild Springer (mouvements chorégraphiques)
Eric Duranteau (images vidéo)
Orchestre de la Suisse Romande
Ulf Schirmer, direction
Choeur du Grand-Théâtre
de Genève
Ching-Lien Wu, cheffe de choeur
Genève
24*, 26, 28, 30 janvier, 1 et 3 février
2004
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Spectacle féerique
Perchés sur des fils descendus
des cintres, battant spasmodiquement d'une aile comme pour se débarrasser
d'une petite vermine ou pour remettre une plume en place, des hommes-hirondelles
surplombent une cour d'oiseaux-femmes de toutes espèces et couleurs.
Tout ce monde piaille allègrement la joie d'appartenir à
leur espèce, sans se soucier des hommes qui les surveillent. C'est
le mariage de deux tourterelles toutes de blanc vêtues, entourées
de grives, de mésanges et autres autruches. Le tableau est charmant,
coloré, envoûtant. Sous prétexte de protéger
cette admirable harmonie contre les assauts d'un mal inconnu, les hommes
proposeront aux oiseaux de construire une citadelle dans laquelle ils seront
à l'abri du danger. Ils acceptent mais, voyant que le dessein de
l'homme est de diriger ce royaume, les oiseaux finiront par chasser les
hommes. Cette imagerie poétique, ce conte animal à partir
duquel Walter Braunfels crée son opéra est issu d'une
fable qu'Aristophane avait écrite à la suite de l'expédition
d'Athènes contre Syracuse. Si l'oeuvre que le compositeur a en a
tirée est moins centrée sur cette course au pouvoir, elle
éclaire néanmoins chacun sur l'opposition de celle-ci à
la spiritualité, à la découverte de la beauté
pour elle-même. Ainsi Fidèlami, l'un des protagonistes de
l'opéra, matérialiste et manipulateur, partira déçu
et fâché vers d'autres conquêtes, alors que Bonespoir
vivra dans les délices du rêve, de l'artiste pur après
sa rencontre amoureuse avec Le Rossignol.
Créé en 1920, Les
Oiseaux de Walter Braunfels devaient avoir un destin cruel puisqu'ils
disparurent des scènes lyriques en 1933, année à partir
de laquelle les oeuvres de Braunfels furent interdites par le gouvernement
d'Hitler. Jugées ringardes après la guerre, elles
tombèrent dans l'oubli, jusqu'à une épisodique résurrection
en 1971. Depuis, Les Oiseaux ont fait l'objet de quelques représentations
par-ci par-là, comme cette production genevoise faisant office de
création suisse.
S'apparentant à Richard Strauss
pour la ligne mélodique et à Giacomo Puccini pour
la subtilité des arrangements, la musique de Walter Braunfels est
un enchantement. La baguette avisée du chef allemand Ulf Schirmer
a su plier un excellent Orchestre de la Suisse Romande aux désirs
du chant. Douceurs extrêmes du Rossignol, rudesse d'archets du Roitelet,
pur miel de la poésie de Bonespoir.
Tout comme Chantecler d'Edmond
Rostand, Les Oiseaux demande un matériel scénique
complexe. Hormis les deux personnages "humains" de l'opéra, tous
les autres protagonistes sont déguisés en oiseaux. Il n'est
donc pas de costumes identiques. Reconnaissant l'importance de chacun,
le metteur en scène Yannis Kokkos a désiré
que chaque acteur, du figurant au choriste, choisisse son "oiseau". A la
fois décorateur, costumier et metteur en scène, Yannis Kokkos
combine ici ses talents multiples pour construire l'unité poétique
de son spectacle et offrir une lecture délicate du conte d'Aristophane.
Jeux d'ombres et de lumières dans un décor de contes pour
enfants, sa forêt est habitée des sapins identiques à
nos dessins d'enfance, ses montagnes sont puérilement pointues,
ses prés sont aux couleurs de nos fantasmes infantiles, roses ou
émeraude. Avec cette imagerie des livres de notre prime jeunesse,
le climat du metteur en scène grec enrobe d'insouciance juvénile
la fable d'Aristophane. Ainsi le spectateur n'y verra que ce que son imagination
lui dictera. Le conte merveilleux ou les débordements de l'ambition
humaine.
Les Oiseaux est un hymne à
la voix féminine. Ainsi, Braunfels donne au Rossignol les airs -
évidemment - les plus aériens qui soient. Suspendue dans
les airs, la soprano allemande Marlis Petersen (Le Rossignol) y
prête sa splendide colorature. Jouant de la grâce de ses gestes
et de sa voix, elle conquiert l'espace avec des vocalises stratosphériques
qui ne sont pas sans rappeler une certaine Natalie Dessay ! A ses
côtés, la voix toute de rondeur mozartienne du ténor
suédois Pär Lindskog (Bonespoir) s'accorde le bonheur
d'une parfaite symbiose à la quête éperdue de cet inaccessible
rêve aérien. La basse italienne Duccio Dalmonte (Fidèlami)
n'hésite pas à colorer son chant d'accents frustes pour illustrer
la dureté antipathique de son personnage égaré dans
cet univers féerique. Le tableau vocal serait incomplet sans signaler
l'extraordinaire présence de Roman Trekel (Prométhée).
Figure exsangue d'un héros à l'agonie, le baryton allemand
galvanise le plateau avec son personnage d'outre-tombe. A noter encore
l'excellence du Choeur du Grand-Théâtre de Genève qui,
au fil des productions lyriques, révèle ses qualités
vocales jusqu'ici comme peu exploitées. Magnifique ! (A quand un
concert de cet ensemble ?)
Incontestablement meilleure production
du Grand-Théâtre de Genève depuis l'arrivée
de son nouveau directeur, Jean-Marie Blanchard, il faut espérer
que ce spectacle féerique aura suscité l'envie à d'autres
théâtres de monter l'ouvrage. Et qu'enfin Les Oiseaux
reprenne la place qu'il n'aurait jamais dû quitter aux côtés
des "classiques" de la scène lyrique.
Jacques SCHMITT
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