L’action se déroule près de la ville d’Olympie le jour des jeux. Le reste
importe peu ; amitiés trahies, amours contrariés, le livret de L’Olimpiade
sert avant tout de prétexte au formidable débordement mélodique et dynamique
d’un Antonio Vivaldi au sommet de sa forme. Tout au long de la vingtaine de
numéros qui composent l’opéra, l’inspiration emporte sans temps mort
l’auditeur dans le bouillonnement de ses flots. Elle le surprend même plus
d’une fois à tapoter du pied, à dodeliner de la tête comme dans le meilleur
des concerts de rock.
Cette
inépuisable énergie, domptée en d’autres lieux par Rinaldo Alessandrini (un
enregistrement en témoigne), submerge Alessandro de Marchi qui, au premier
acte surtout, tente à grand renfort de cordes d’endiguer le flux et malmène le
mouvement jusqu’à rompre la tension du duetto « Ne’ giorno tuoi felice ».
Inégal, il trouve ailleurs le juste souffle, le frisson poétique qui chavire
par exemple « Mentre dormi amor fomenti ».
Brian
Asawa peut alors déployer le velours soyeux de son timbre, exprimer le charme
de l’inconstant prince Licida et s’affirmer comme la vedette d’une
distribution qui, pour la plupart, a trouvé dans l’entreprise discographique
Naïve l’occasion de démontrer ses affinités avec ce répertoire.
Ainsi,
Martin Oro fut Griffone, le noble compagnon d’Orlando
finto pazzo avant d’incarner ici la tendre Aristea. L’esprit le plus
ouvert, le plus baroque jusque dans la confusion des sexes, conçoit avec
difficulté une jeune fille virile et barbue. Fermant les yeux pour dissiper le
malaise, l’oreille ne parvient pas davantage à se représenter la tendre
héroïne. La technique, la beauté de la voix ne sont pas en cause mais il lui
manque la clarté, la subtilité, la féminité tout simplement. Pour accentuer
encore le déséquilibre, son amant, le sensible Megacle, est interprété par
Gemma Bertagnolli, soprano jusqu’au bout des ongles, dont la projection
s’accomplit seulement dans le registre aigu. Il faut donc renoncer aux abîmes
de « Superbo di me stesso » pour se laisser griser plutôt par les
ébouriffantes vocalises de « Lo seguitai felici ».
L’habitude est désormais prise : dès que les rives lyriques du prêtre roux
sont abordées, le fantôme de Cecila Bartoli surgit, inévitable, invoqué cette
fois par «Siam navi all’onde algenti ». Anke Herrmann relève l’impossible défi
avec ses propres armes – légèreté, musicalité –, au détriment de la chair et
de l’onctuosité. Colorature avant tout - elle coiffe à l’occasion la couronne
de la Reine de la nuit - elle tire Aminta vers l’Oscar du Bal masqué
qu’elle égare dans la Venise du XVIIIème siècle.
Les
musicologues, eux, préfèrent à la virtuosité des arie di tempesta la
modernité des parties dévolues aux voix graves. Pourtant, le baryton Furio
Zanasi semble ce soir l’ombre de l’inoubliable Farnace qu’il interpréta au
disque et sur scène, dirigé alors par Jordi Savall. Le volume, l’engagement
déçoivent quand demeurent malgré tout la séduction, le mordant des attaques et
la netteté du son.
Plus
terne encore, Wolf Matthias Friedrich, roi germanique avant d’être latin, ne
sait pas rendre justice au sublime « Non so dove viene », le plus bel air
peut-être d’une partition qui en regorge. Combien ce soir l’ont remarqué ?
Reste
Barbara Di Castri dont les trois airs ne tiennent pas la promesse des
récitatifs. La molle placidité des premiers contredit la précision théâtrale
des seconds. Il faudra attendre Arsace dans la Semiramide que présente
le Théâtre des Champs Elysées au mois d’avril pour préciser son jugement.
Mais le
plus vif des regrets reste de ne pouvoir apprécier l’œuvre dans sa tenue
d’apparat, mise en scène comme il se doit, quelles que soient ses faiblesses
dramatiques. La renaissance vivaldienne est à ce prix, au risque sinon de
passer pour et comme un effet de mode. En attendant, l’occasion d’applaudir
L’Olimpiade est trop rare pour, au final, ne pas se réjouir car, le baron
de Coubertin l’affirmait à propos des jeux olympiques justement, l’essentiel
est de participer.
Christophe Rizoud