Purement
et simplement annulé l'an dernier, par suite des mouvements syndicaux
que l'on sait, le Festival
de Montpellier tente de reconquérir son public et propose cette
année pas moins de huit soirées lyriques, cinq opéras
en version concert, deux oratorios et une mise en scène. Et en dehors
du Baron Tsigane de Johann Strauss, il s'agit à chaque fois
d'oeuvres complètement inconnues, exhumées d'on ne sait quelles
oubliettes de l'histoire de la musique. René Koering, le maître
des lieux, s'est fait depuis de longues années déjà,
une spécialité de ces redécouvertes surprenantes qui
livrent tantôt de bonnes surprises et tantôt la confirmation
des jugements du temps. Outre ces grandes productions lyriques, le festival
offre aussi des concerts symphoniques, des nombreux récitals de
piano ou de musique de chambre, du jazz, des soirées de musique
électronique, sans oublier des rencontres-débats autour du
thème de la frontière, bref un peu de tout pour tous les
goûts.
Oeuvre inachevée de Richard
Strauss
La seule mise en scène de
cette année est consacrée à une oeuvre fragmentaire
de Richard Strauss, intitulée L'Ombre de l'âne, écrite
comme une pochade vers la fin de sa vie (1947) pour la fête d'un
collège dont les élèves, aux rangs desquels son petit-fils,
devaient être les interprètes. Le livret original est adapté
d'un texte de Wieland, L'Histoire des Abderitains, sorte de parabole
philosophique publiée en 1774, pleine période des Lumières,
retravaillé pour Strauss par Joseph Gregor. Il retrace l'histoire
d'un procès ridicule dans un pays imaginaire, opposant un marchand
grincheux à un dentiste vaniteux, et présente en galerie
de portraits-charges un juge poète, un corporatiste, un prêtre
libidineux, un avocat procédurier et un malheureux âne, victime
de tous.
Oeuvre fragmentaire, disions-nous,
parce que Strauss, après avoir pesté contre son librettiste,
délaissa le projet, laissant inachevées les quelques pages
qu'il avait déjà écrites. Différentes tentatives
de compléter l'oeuvre et de l'orchestrer suivirent la mort du compositeur,
aboutissant à une première création en 1964. Ces maigres
pages font songer tantôt à la musique de scène du Bourgeois
Gentilhomme tantôt à Capriccio, pour autant que
l'interprétation donnée hier à Montpellier permette
d'en juger.
Adaptation pour le moins contestable
René Koering, reprenant la
partition, en livre ici une adaptation française avec l'ajout de
dialogues parlés, qui gomment tout le côté philosophique
du conte de Wieland pour ne retenir que la plaisanterie de potache, avec
une lourdeur qui dépasse l'entendement ; pour la partie musicale,
il a demandé à son ami René Bosc une nouvelle orchestration
pour petit ensemble de chambre, et des interludes orchestraux, adaptés
d'extraits d'Ariane à Naxos (c'est-à-dire mutilés)
ont été ajoutés pour compléter la partition.
Fort négligemment servie par quelques membres de l'orchestre National
de Montpellier, qui n'ont pas dû beaucoup répéter,
par les choeurs de l'opéra du lieu et quelques chanteurs du même
calibre, la partition ainsi remaniée ne sort pas grandie de l'aventure.
Une part non négligeable du génie de Strauss réside
dans ses merveilleuses orchestrations, et la réduction pour un ensemble
de quelques musiciens seulement n'arrange évidemment pas les choses.
Mais la conception scénique du spectacle, tout encombrée
de poncifs du pire boulevard des années '70, crée un climat
réfractaire à tout épanouissement, qu'il soit dramatique
ou musical. L'articulation des comédiens chanteurs est déficiente,
des pans entiers du texte vous échappent, le résultat est
tout simplement désastreux, d'une affligeante vulgarité et
rarement drôle.
Seuls les décors et costumes
de Mâkhi Xenakis, imaginatifs et colorés, apportent une touche
professionnelle à ce spectacle-farce. Il y avait sûrement
mieux à faire avec l'argent du contribuable français... car
enfin, de deux choses l'une : soit L'Ombre de l'âne est une
oeuvre, certes mineure, mais digne d'intérêt - c'est notre
avis - et méritait meilleur traitement, soit c'est une fantaisie
de vieillard insignifiante, et mieux valait alors la laisser où
elle dormait, dans un tiroir de bibliothèque.
Claude JOTTRAND
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Note : France
Musiques diffuse cet opéra le Samedi 23 Juillet 2004, 14h.