La Russie serait-elle à nouveau
fréquentable et "tendance" ? Après la saison russe du Théâtre
du Châtelet à Paris, c'est en effet avec Tchaïkovski
que l'Orchestre Symphonique de Montréal (toujours à la recherche
depuis plus d'un an d'un hypothétique successeur à Charles
Dutoit) a décidé d'ouvrir sa saison 2003/2004. Après
un concert d'ouverture avec Dmitri Hvorostovsky puis un Premier Concerto
pour Piano, la salle Wilfrid-Pelletier accueillait un Eugène
Onéguine "made in Bolchoï" donné en version de concert.
C'était l'occasion pour l'illustre théâtre moscovite
de prouver qu'il a encore quelques beaux restes à présenter
sur les scènes internationales.
Marina Shaguch
© OSM
Marina Shaguch, sans doute la plus
connue des artistes réunis pour cette soirée, livre une interprétation
très convaincante du rôle de Tatiana. Malgré un physique
que d'aucuns jugeraient difficile, son engagement dramatique nous transporte
et nous plonge dans une version semi-scénique qui nous fait oublier
les quelques graves escamotés dans la scène de la lettre
pour ne retenir qu'une très émouvante scène finale.
Reste qu'avec la même robe du début jusqu'à la fin,
on ne comprend guère ce qui différencie Tatiana de la princesse
Grémine : qui dit version concert ne dit pas forcément version
cheap
! En face d'elle, Nikola Mijailovic a le parfait physique du "froid dandy
aux allures mondaines", alla Thomas Hampson; hélas, la comparaison
avec le baryton américain s'arrête là : la voix sonne
désespérément creuse et présente des scories
précoces tout le long de la tessiture, ce qui rend ses interventions
assez pénibles. Ses partenaires font heureusement mieux, à
commencer par Mikjail Gubski qui, après des débuts un peu
"gras", offre une incarnation sobre et introspective du personnage de Lenski.
Mikhail Kazakov en Prince Grémine démontre quant à
lui que le renouvellement des grandes basses nobles russes est assuré
et l'on ne peut que s'en réjouir ! Souvent distribué à
des mezzos en fin de carrière, le rôle de la mère Larina
est magnifiquement tenu par Irina Rubtsova : avec une couleur de voix riche
et homogène, cette chanteuse mérite certainement de se produire
ailleurs que dans les festivals d'Okhrid, Bakou, Almaty, Achgabant et Kazan
(1).
En dépit d'un timbre agréable, Angelina Schvachka campe une
Olga un peu trop sage, sinon retenue. Espérons enfin que la prestation
de Pascal Mondieig (estimable Monostatos l'an dernier à l'Opéra
de Montréal), inaudible ce soir dès le 8ème rang de
parterre, ne soit due qu'à une méforme passagère.
Sous la baguette d'Alexander Vedernikov,
l'OSM a parfois du mal à réprimer ses élans fougueux
et romantiques, couvrant ainsi allègrement les solistes, notamment
dans la scène de la lettre : à ce jeu, si les cordes s'en
tirent magnifiquement par des couleurs chatoyantes du plus bel effet, les
approximations des vents (en particulier au début du 2ème
acte) sont, en revanche, difficilement acceptables.
Rémi Bourdot
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(1) Pour les lyricophiles non spécialistes
de la géopolitique du Caucase, le programme (accessoire sans lequel
les critiques "officiels" paniqués ne sauraient briller dans les
salons) précise que ces festivals se tiennent respectivement
en Macédoine, en Azerbaïdjan, au Kazakhstan, au Turkménistan,
et au Tatarstan !
C'est fou ce qu'on se cultive en allant
à l'opéra....