MON
CURÉ CHEZ LES FOURMIS
Après l'Aida de septembre
2002, pouvait-on imaginer un spectacle encore plus incongru dans le cadre
gigantesque du Stade de France ? C'est le pari tenté et tenu pour
ce spectacle, intitulé un peu pompeusement "Opéra Céleste"
et qui allie partition de Verdi et "laser-show-pour-boîte-de-nuit-branchée".
Au centre : orchestre, solistes et
choeurs sont placés dans une gigantesque boule ajourée tournant
imperceptiblement sur elle même (elle achève un cycle complet
à la fin du Requiem : mon Dieu qu'c'est-y-beau !).
Pourquoi la boule tourne-t-elle ? Mystère,
puisque de toute façon il est impossible de distinguer les interprètes
(l'illustration ci-dessus est strictement conforme à ce que je voyais
de ma place : imaginez ceux qui étaient plus loin !).
Tout autour de la pelouse, 48 écrans
"géants" (tout est relatif, là encore, voyez l'illustration
!) et "recto verso", projettent gros plans des solistes , citations de
la partition ou illustrations visuelles.
Enfin, la pelouse elle-même,
transformée en écran géant, accueille des projections
psychédéliques qui suivent et illustrent la musique : effets
visuels kaléidoscopiques, image géante du plafond de la Chapelle
Sixtine, constellations en mouvements, nuages, etc.
L'effet est assez réussi et
capte l'attention pendant les 20 premières minutes, mais, à
la longue, ce clip géant finit par lasser.
D'un autre côté, ce n'est
pas pire qu'assister au même Requiem, coincé derrière
un pilier de Notre Dame ou noyé au fond de la Basilique St Denis
!
Par rapport à Aida, la sonorisation
est très largement améliorée : le son provient de
la boule elle-même et non plus du toit (cet effet accentuait la distanciation
avec le spectacle et les chanteurs qui s'agitaient au ras du sol).
Il est tout de même paradoxal
de réunir dans un stade 50.000 personnes pour, au bout du compte,
regarder la télévision, écouter la sono, contempler
des images sur une pelouse, tout ça à des tarifs supérieurs
à ceux d'une représentation à l'Opéra Bastille
!
A quand le Concerto pour piano
de Tchaikovski, avec accompagnement de feux d'artifice, ou Le Voyage
d'Hiver avec canons à neige et lâcher de ballons ?!
Ce qui est dommage, c'est qu'un tel
spectacle s'apprécierait bien davantage dans un lieu à taille
plus humaine, tel que Bercy (voire le Parc des Princes, c'est dire !).
Ici, nous sommes totalement perdus.
Il est vrai que Bercy n'accueille
"que" 10.000 spectateurs (et le Parc 40.000), ce qui n'assure pas la même
rentabilité !
Dans ce spectacle hybride, la qualité
musicale passe au second plan pour le spectateur, et c'est dommage car
la distribution, sans être exceptionnelle, se tient globalement.
Avec une technique moyennement assurée,
Adrianne Pieczonka alterne quelques beaux moments avec des passages où
elle semble déchiffrer le bottin.
Tea Demurishvili est le maillon faible
: graves difficiles, voix parfois dans les joues.
René Pape est ici un LUXE :
beauté du chant, technique parfaite, rigueur de l'interprétation
... tout juste pourrait-on lui reprocher un léger manque d'investissement
dramatique ; difficile, il est vrai, de ressentir une ferveur religieuse
dans un tel environnement.
Tito Beltran, bon petit ténor
lyrique, déçoit un peu : le timbre reste beau, mais il peine
parfois dans l'aigu ; c'est pourtant un habitué du Duc de Mantoue
ou d'Edgardo .
A la tête d'un orchestre et de
choeurs irréprochables, Jean Claude Casadesus assure une direction
honnête et efficace, sans grande personnalité toutefois.
L'écoute du public est étonnamment
attentive et l'accueil, sans être délirant, est chaleureux.
Puisse cette soirée en inciter
un grand nombre à découvrir l'opéra pour de vrai !
Placido Carrerotti