Un
vivifiant retour aux sources
Privée de trompettes, l'ouverture
perd en éclat, en solennité ce qu'elle gagne en vivacité
et en légèreté : le ton est donné, c'est celui
de la pastorale, au début riante, mais qui vire au drame. Point
de sacré, de mythologie ni de cosmogonie, car cette version de concert
privilégie l'humanité des personnages au gré d'une
lecture presque intimiste par moments, loin du somptueux spectacle de cour
imaginé par René Jacobs (les amateurs de ritournelles fleuries
et de violons diserts en seront pour leurs frais) et que certains jugeront
réductrice, mais qui assure aujourd'hui encore le succès
de l'ouvrage et parle au public le plus divers. En l'occurrence, L'Orfeo
semble couler de source, avec un naturel époustouflant, et se livre
dans une étonnante immédiateté.
Il faut dire que Jean Tubéry
n'a pas son pareil pour articuler et animer le discours, fédérant
ses troupes autour d'une approche extrêmement musicale et décomplexée
face aux questions épineuses que soulève l'interprétation
du monument. C'est bien d'une réussite collégiale qu'il faut
parler, avec une mention spéciale pour le choeur de Chambre de Namur,
d'une cohésion exemplaire, d'un relief saisissant.
A l'exception notoire du rôle-titre,
les solistes en sont issus, quand ils ne rejoignent pas aussi le continuo,
à l'instar du prodigieux Nicolas Achten, l'organe encore vert et
la projection limitée - à vingt ans, peut-on l'en blâmer
? - qui accompagne la Musica au théorbe avant de s'accompagner lui-même
en Pastore ! Globalement, les dames déçoivent, ce qui est
particulièrement frustrant dans le cas d'Aurore Bucher, jeune artiste
prometteuse, mais mal distribuée dans le rôle capital de la
Messagiera. Par contre, les interventions des Pastori rivalisent de fraîcheur
et d'éloquence et marient avec bonheur les timbres (très
poétiques duos de Peter de Laurentis et Thibault Leenaerts), révélant
aussi le grain personnel et la belle présence du contre-ténor
Paulin Bundgen - il incarnera Endimione dans La Calisto que dirigera
Stephan McLead en janvier 2006 au Théâtre du Loup de Genève.
Hans-Jörg Mammel incarne un Orfeo
solaire, bluffant d'aisance dans la virtuosité, mais un peu trop
désinvolte, visiblement satisfait de lui-même. Moins attentif
au mot, il semble parfois s'écouter chanter et néglige d'autant
plus l'expression, en particulier dans son long et intense monologue de
l'acte III. Dommage, car l'homme est fin musicien et possède les
moyens du rôle. Benoît Giaux (Apollo) affiche un tout autre
souci du texte et délivre un chant à peine moins délié,
mais bien plus sensible.
Quelques éclairages suggestifs,
des changements de tonalité, simples et efficaces, dans les costumes,
des mouvements fluides et bien étudiés cernent l'atmosphère
de chaque tableau au point que toute mise en scène paraît
superflue. Au contraire même, on se surprend à penser qu'elle
aurait peut-être figé l'ouvrage, bridant l'imagination des
spectateurs et les détournant de l'essentiel. D'ailleurs, L'Orfeo
a-t-il vraiment besoin d'être mis en scène, imagé,
chorégraphié, explicité ? En tout cas, Jean Tubéry
a mille fois raison lorsqu'il observe que "son universalité intemporelle
rend caduque, et décline ainsi, toute traduction contemporaine".
Si l'acoustique de la salle surexpose
les moindres défauts (l'aigreur des violons, l'intonation défaillante
ou la diction approximative de l'une ou l'autre soliste), elle met aussi
en valeur le travail du continuo, la harpe d'Angélique Mauillon,
le théorbe enchanteur de Sören Leupold, et les cornets volubiles
de Kuniko Ueno et Jean Tubéry, toujours aussi leste !
Bernard SCHREUDERS
Reprise à l'Opéra de
Renne les 18 et 19 octobre.