Le triomphe des Femmes
En 1828, Rossini donne à l'Académie
Royale de Musique un véritable opéra comique en français,
Le Comte Ory, pour lequel il puise allègrement dans la partition
du Voyage à Reims, composé trois ans plus tôt pour
le couronnement de Charles X. Nous ne nous en plaindrons pas puisqu'il
en résulte une oeuvre des plus réjouissantes, nourrie par
la verve étincelante d'un compositeur de trente-six ans qui s'apprête
déjà à raccrocher les partitions. Cet ouvrage constitue
de plus un excellent tremplin pour de jeunes chanteurs à la virtuosité
accomplie et entre donc parfaitement dans la politique menée à
Metz par Danièle Ory (!), qui consiste à offrir de nombreuses
prises de rôle à de jeunes artistes prometteurs.
Nous sommes dans un Moyen-Age d'opérette,
avec des décors en carton-pâte volontairement naïfs et
des costumes excessivement rutilants. Dans ce cadre fantaisiste, le baryton
Jean-François Vinciguerra, signataire de cette reprise, joue la
carte de la farce pour ce qu'il considère comme un "vaudeville moyenâgeux
de troubadour en goguette". Il manie l'anachronisme avec un plaisir certain,
introduisant un home-trainer dans la chambre de la Comtesse puis une batterie
de machines à écrire, et parsème l'ouvrage de gags.
C'est ainsi qu'au premier acte lorsque Isolier se confie au faux ermite,
nous nous retrouvons dans le cabinet d'un psychanalyste avant l'heure.
On notera encore des clins d'oeil à l'Olympia des Contes d'Hoffmann
ou à la célèbre représentation picturale de
la Cène, ainsi que l'usage (et l'abus ?) de chorégraphies
burlesques auxquelles se prêtent sans rechigner les solistes et les
choeurs, comme ce french-cancan parodique qu'exécutent les fausses
pèlerines au second acte. Le public rit mais cette agitation permanente
finit parfois par lasser, à des moments où la musique se
suffit à elle-même et ne réclame pas cette débauche
d'effets. A ces moments, la farce a tendance parfois à devenir légèrement
indigeste.
On trouve heureusement davantage de
subtilité dans la fosse où Giuseppe Grazioli joue du contraste
et de la dynamique. Il est impossible de résister à cette
direction pleine d'élan et de verve. La distribution nous apporte
elle aussi son lot de satisfactions, d'autant que chacun de ces jeunes
artistes se révèle un comédien investi dans son rôle.
Notre seule réserve concerne le Raimbaud acceptable mais un peu
fruste du baryton italien Luca Grassi (un habitué du festival de
Martina Franca). Anne Pareuil est une Ragonde très amusante mais
gagnerait à soigner sa diction. Dans le rôle du Gouverneur,
Jacques Catalayud impose sa voix claire et sonore et vient à bout
de son très difficile air du premier acte, même s'il est contraint
d'escamoter quelque peu les notes les plus graves.
Dans le rôle titre, le ténor
grec Mario Zeffiri, entendu à Liège dans Le Voyage à
Reims, fait preuve de beaucoup de vaillance et de virtuosité. Si
le timbre n'est pas toujours des plus séduisants, sa prestation
n'en est pas moins tout à fait digne d'éloges. La soprano
canadienne Aline Kutan triomphe dans la Comtesse Adèle avec un aigu
d'une grande facilité et une virtuosité sans failles, qui
font oublier un timbre plus commun et une voix qui perd de sa projection
dans le médium. Mais j'attribuerai sans aucune hésitation
les lauriers de la soirée à l'Isolier de Patricia Fernandez.
Nous avons suivi depuis quelques années la carrière de ce
réel espoir du chant français, appelée à devenir
une grande Carmen d'ici peu. Sa présence lumineuse, sa voix belle
et homogène, bien projetée, son incontestable virtuosité
sont de grandes promesses pour l'avenir.
En définitive, un spectacle
réjouissant qui nous permet de passer une excellente après-midi
et d'oublier la froidure lorraine, et qui s'achève sur une non moins
réjouissante image : le triomphe des femmes.