Le
Comte Ory n'est pas une nouveauté pour les plus fidèles
festivaliers de Pesaro, puisque cette oeuvre avait déjà été
donnée par le Rossini Opera Festival en 1984 avec Blake et Gasdia,
dans une production de Pizzi, reprise en 1986 avec Matteuzzi et Devia.
On ne peut s'empêcher de penser
que cette nouvelle réalisation a d'abord été montée
pour Juan Diego Florez, vedette incontestée de l'édition
2003 du festival. Le ROF semble en effet très attaché au
ténor péruvien et le revendique parfois même avec paternalisme
en le désignant par "nostro Florez" depuis ses débuts en
1996 au Palafestival, en remplacement de Bruce Ford dans Matilde di
Shabran. Le chant et le jeu de Florez sont vaillants et sa voix souple,
belle et puissante (surtout dans le théâtre Rossini, aux dimensions
plutôt modestes). Le timbre est toujours aussi clair et agréable,
et sa diction française tout à fait correcte.
Le rôle du Gouverneur est tenu
par la grande (au moins par la taille) basse anglaise Alastair Miles,
beaucoup plus à l'aise dans les graves profonds que dans ses incursions
vers l'aigu. Sa voix fait toujours preuve d'une bonne agilité, et
en dandinant légèrement son corps un peu raide dans les vocalises,
il amène le sourire sur certains visages dans la salle.
La mezzo française Marie-Ange
Todorovitch est très expressive, comme à son habitude : bonne
diction, vivacité d'exécution, mais des duretés très
nettes dans l'aigu, où la voix semble vraiment dérailler.
Connaissant ses mimiques vocales, on
pouvait appréhender la diction de Bruno Pratico, grand habitué
et même certains soirs coqueluche du festival, mais ce fut plutôt
une bonne surprise. Sa prestation reste toutefois assez discrète
et oblige par moments à tendre l'oreille.
Reste le cas de la très jolie,
et de voix et de physique, soprano Stefania Bonfadelli, qui ne possède
pas la plasticité et la virtuosité exigées par le
rôle de la Comtesse, distribué habituellement à des
coloratures (Devia, Massis, Mei, Gasdia, il y a quelques années,...).
Bonfadelli en semble consciente (ce qui est déjà un bon début
pour progresser) et remplace certains passages d'agilité prévus
par la partition par de jolis aigus, plus espacés, de sa composition,
ce qui fait à peu près passer la pilule, la musicalité
étant toujours au rendez-vous.
A la tête de l'orchestre du Comunale
de Bologna, Jesus Lopez Cobos soigne sa direction, lui confère du
relief, mais sans excentricité.
La principale faiblesse de cette production
reste à mon sens la mise en scène, en décalage complet
avec l'essence de l'ouvrage. Alors que le Comte Ory est traditionnellement
une farce, riche en grivoiseries, chansons à boire et multiples
déguisements, or, le traitement qu'en propose Lluis Pasqual n'amène
que tristesse et désolation. Un intérieur bourgeois 19ème,
façon Traviata, un sol noir et brillant, une dizaine de gros
lustres suspendus avec des ampoules de 20 W : autant d'éléments
inquiétants qui semblent peser sur le spectacle et tempèrent
fortement l'enthousiasme des spectateurs. Le premier acte démarrant
avec un billard et une table de jeu sur scène, on songe à
un nouveau traitement du type "théâtre dans le théâtre"
et il est dommage qu'il sombre dans le glauque. Pourquoi, dans ce cas,
ne pas aller jusqu'au bout de la démarche en imaginant, par exemple,
un rapprochement Comte Ory - Comte Dracula ?! Hormis le fait que l'on s'habitue
à tout, la déception est moins importante au 2ème
acte, avec les choeurs des fausses religieuses, ainsi que le magnifique
trio final, scènes qu'il est difficile de rater totalement.
François Jestin