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PARIS
18/03/2008
© DR
Giuseppe Verdi (1813-1901)
Padmâvatî
Opéra ballet en deux actes (1923)
Livret de Louis Laloy
Mise en scène, Sanjay Leela Bhansali
Scénographie, Omung Kumar Bhandula
Chorégraphie, Tanusree Shankar
Costumes, Rajesh Pratap Singh
Padmâvatî, Sylvie Brunet
Ratan-Sen, Finnur Bjarnason
Alaouddin, Alain Fondary
Le Brahmane, Yann Beuron
Badal, François Piolino
Nakamti, Blandine Folio Peres
Gora, Laurent Alvaro
La Sentinelle, Alain Gabriel
Un prêtre, Jean-Vincent Blot
Orchestre Philharmonique de Radio France
Chœur du Châtelet
Direction musicale, Lawrence Foster
Théâtre du Châtelet, le 18 mars 2008
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Admirable !
C’est le mois des raretés à Paris : après Zampa de Hérold à l’Opéra Comique, le Châtelet monte Padmâvatî
d’Albert Roussel… On peut parler de véritable
redécouverte, l’œuvre n’ayant pas
été reprise à Paris depuis 1946 !
On sait d’expérience que les exhumations
d’œuvres oubliées ne révèlent pas
toujours des ouvrages inoubliables… Mais ici c’est bien un
chef d’œuvre injustement ignoré qui nous est
restitué, et ce dans des conditions magnifiques !
Cette longue absence s’explique difficilement, lorsqu’on
songe qu’une Lakmé, voisine en thème, n’a
jamais disparu du répertoire. Elle est peut-être en partie
due à la forme hybride de cet ouvrage commandé pour
l’Opéra de Paris : intitulé
« opéra-ballet » par le compositeur, Padmâvatî accorde une place d’égale importance au chant, à la danse mais aussi à la pantomime.
Le livret, signé par un spécialiste du monde asiatique,
Louis Laloy, s’inspire d’une légende indienne. Le
librettiste prendra cependant certaines libertés avec
l’histoire originale.
A Tchitor, le Prince Ratan-Sen attend son ennemi de toujours,
Alaouddin, Sultan des Mogols. Celui-ci entre dans la ville,
accompagné d’un cortège resplendissant, pour
sceller la paix. En signe d’amitié Ratan-Sen lui propose
de visiter ses domaines, mais Alaouddin préfère des
beautés plus vivantes ; cependant, ni le ballet endiablé
des guerriers, ni les danses sensuelles des esclaves puis des femmes du
palais ne parviennent à le contenter… Il est venu voir la
femme dont son brahmane lui a chanté la beauté :
Padmâvatî, la femme de Ratan-Sen, qui a
l’éclat du lotus sacré. Ebloui et troublé
par l’apparition de la Princesse, Alaouddin se retire
brusquement, laissant un message : il ne signera la paix que si on
lui livre la princesse. Le prince s’y refuse tout d’abord
et les combats s’engagent.
La nuit est tombée sur la ville, Ratan-Sen, blessé, se
réfugie auprès de la princesse et la presse
d’accéder à la demande d’Alaouddin, afin
d’éviter le massacre du peuple. Horrifiée par cette
demande, la Princesse préfère la fidélité
éternelle et poignarde Ratan Sen… Ainsi les époux
ne se quitteront jamais car elle le rejoindra pour toujours sur le
bûcher funéraire.
Le Châtelet a confié la mise en scène de cette
résurrection au réalisateur de cinéma indien, Sanjay Leela Bhansali, auteur notamment de Devdas.
On pouvait craindre que cette idée soit d’abord un
« coup marketing »… Mais il n’en est
rien, le spectacle est un enchantement visuel !
Plus que l’irruption spectaculaire d’animaux sur
scène (Alaouddin arrive sur un éléphant),
c’est bien l’esthétique globale du spectacle qui
charme, les chorégraphies enlevées, les costumes
chatoyants... Bien sûr tout cela est naïf et laisse assez
peu de place à la psychologie des personnages, mais
qu’importe, l’immersion dans l’Inde est totale !
Il est dès lors normal que le metteur en scène soit
présent aux saluts, bien que ce ne soit pas la première.
L’opéra alterne des climats très variés, les
scènes les plus intimistes (le monologue de
Padmâvatî, « Il est trop tard »)
succédant aux scènes de foule grandioses. Le compositeur,
au contraire de nombre de ses contemporains eux aussi attirés
par l’exotisme orientaliste, a puisé son inspiration non
pas d’un orient rêvé, mais d’un voyage
qu’il a effectué en Inde en 1909 avec sa femme, et
introduit dans sa musique des mélodies, des rythmes, des
tonalités typiques de la musique indienne. Tout cela donne une
musique luxuriante parfois à la limite de la grandiloquence (les
scansions des chœurs sans paroles…) mais toujours
étonnante et dépaysante, à laquelle
l’orchestre de Radio France placé sous la direction de Lawrence Foster rend parfaitement justice.
Dans ce concert de louanges, nous introduirons un léger
bémol, qui concerne la distribution, et plus
particulièrement les deux souverains.
Tout d’abord, Alain Fondary ne peut masquer une usure réelle de sa voix, trahie par un vibrato envahissant. Il reste une présence forte et quelques éclats de voix, mais on regrette un legato en berne.
Ratan-Sen est le seul rôle distribué à un chanteur non francophone - Finnur Bjarnason.
Le français du ténor finlandais est cependant tout
à fait intelligible, même si la diction manque un peu de
naturel. On pourra lui reprocher une présence scénique un
peu pâle, impression renforcée par un timbre un rien
monochrome et une puissance limitée. C’est surtout
sensible dans son duo avec Padmâvatî au deuxième
acte, où il semble totalement dominé par son
épouse… mais cela convient finalement pas si mal à
ce personnage somme toute falot et velléitaire.
La princesse Padmâvatî est incarnée par une Sylvie Brunet
incandescente, à la voix torrentielle, au timbre sombre et
moiré. Elle parvient à donner à ce personnage une
vraie épaisseur et ce dès ses premiers mots, par une
présence physique et sonore quasi animale. La voix est longue et
homogène, l’expression variée… D’aucun
pourront lui reprocher une diction légèrement
pâteuse, mais cela ne pèse pas grand face à une
telle incarnation.
Les seconds rôles sont superbement tenus… A commencer par le brahmane de Yann Beuron,
superbe de diction et d’élégance… Ses
interventions sont malheureusement trop rares, mais son éloge de
Padmâvatî et ses malédictions
proférées au peuple de Tchitor sont parmi les sommets de
la soirée… On citera également le très beau
Gora de Laurent Alvaro et le prêtre de Jean-Vincent Blot, belle voix de basse au timbre soyeux.
En un mot, si vous souhaitez vous évader pour quelques heures
à mille lieux de Paris, n’hésitez pas… il
vous suffit de vous déplacer jusqu’au Châtelet !
Antoine Brunetto
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