UN
BARBIER PEU EN GACHER UN AUTRE
Né en 1740, Giovanni Paisiello
a 42 ans lorsqu'il compose son Barbiere qui sera un succès
ininterrompu sur toutes les scènes européennes. Il en aura
76 à la création du Barbiere de Rossini en 1816 (ouvrage
prudemment rebaptisé "Almaviva, ossia l'inutile precauzione ") qui,
après un démarrage un peu difficile, finira par triompher
de l'oeuvre originale dans le coeur du public (1). Paisiello
aura d'ailleurs le bon goût de mourir quelques mois plus tard. Entre
temps, Mozart aura composé les Nozze di Figaro (en 1786)
: c'est dire la fertilité musicale de ce tournant de siècle,
les ouvrages passés inspirant les créations nouvelles (2).
Il est pratiquement impossible d'assister
à une redécouverte de ce genre (du moins à la première
écoute) sans avoir à l'esprit ces deux références
prestigieuses.
On est d'ailleurs tellement loin du
génie rossinien que toute tentative de comparaison est vouée
à l'échec tant la seconde version est présente à
nos oreilles ; il faudrait pouvoir faire le vide dans son esprit et c'est
d'autant plus impossible que les livrets sont quasiment identiques.
Les comparaisons avec l'oeuvre de Mozart
sont en revanche plus faciles. Il est aisé de constater que Paisiello
a ouvert la voie à son célèbre successeur (on pense
au final des Nozze). Il n'en atteint tout de même pas le génie,
notamment dans le traitement orchestral : chez Paisiello, l'orchestre se
contente d'illustrer la partie vocale (avec talent du reste) mais ne devient
jamais un protagoniste à part entière de l'ouvrage.
Finalement, c'est dans le traitement
de la partie vocale que l'ouvrage de Paisiello offre le plus de séduction
: peu de mélodies remarquables (à l'exception du magnifique
finale, mélange d'un Mozart affecté du brin de détachement
d'un Auber), mais un continuum musicale, original et vif, soutenant continuellement
l'attention. On ne peut que comprendre la réaction positive du public
de l'époque.
Au global, ce Barbiere ne remplacera
jamais "l'original" (si j'ose dire) dans nos coeurs, d'autant qu'il donne
peu d'occasion aux interprètes de faire démonstration de
leur virtuosité ; mais l'ouvrage n'en est pas moins digne de reprises
périodiques, ne serait-ce que pour mieux comprendre l'évolution
musicale au tournant du XVIIIème. Un peu de musicologie avec l'assurance
de passer une bonne soirée : c'est joindre l'utile à l'agréable
!
Côté chanteurs, c'est
plutôt Bartolo qui vole la vedette à Figaro dans cette version
: Philippe Georges campe un personnage plaisant (quoique assez éloigné
des barbons habituels), mais expose quelques limites vocales, même
pour un plateau aux ambitions modestes, le chanteur assure ses attaques
en attaquant exagérément la note, produisant une impression
d'aboiement continuel un peu lassant à la longue.
A l'inverse, Pierre-Yves Pruvot est
un Figaro très à l'aise vocalement, d'une insolence presque
italienne, et certainement digne de chanter la version de Rossini. Scéniquement,
il ne trouve ses marques qu'au cours du spectacle, après un air
d'entrée qui le montre particulièrement gauche.
Voix blanche, à peine timbrée
dans le médium, Jean Delescluses est plutôt égaré
en Almaviva : question de style plutôt que de moyens. Rien de bien
vraiment scandaleux, simplement l'impression d'entendre un chanteur d'oratorio
d'une part, et dans une tessiture trop grave pour lui d'autre part.
Hjördis Thébault est la
seule femme de la distribution (la philosophe Berta étant remplacée
par deux valets plus idiots l'un que l'autre). Rien à redire sur
la prestation : timbre riche en harmoniques, aigus imposants (enfin, par
rapport au volume vocal des partenaires...), vocalises impeccables et abattage
scénique certain.
Philippe Rabier est un excellent Basilio,
chantant avec humour et aplomb son "Air de la Calomnie" particulièrement
bien mis en scène.
Enfin, Patrick Alliotte-Roux et Jean
Noël Poggiali se tirent de leurs doubles petits rôles, mais
plus par leurs qualités d'acteurs que de chanteurs.
La mise en scène vaut surtout
pour une direction d'acteurs efficace et bien rodée. Les décors
sont assez réduits : une petite tour d'où intervient Rosina
au premier acte, une cage qui prend toute la scène pour la suite
(une idée qui manque un peu d'originalité et dont la réalisation
pratique ne met pas toujours les chanteurs à l'aise dès lors
qu'il s'agit de grimper au barreaux). Enfin, les costumes sont simples
et plutôt réussis compte tenu de l'évident manque de
moyens de la production (4).
A la tête de sa formation, Jean
Claude Malgoire met son entrain légendaire à défendre
cet ouvrage, lui imprimant toute la verve et toute la théâtralité
nécessaires. Seuls bémols : une sonorité un peu sèche
et des cordes qui manquent de couleurs.
Au rideau final, le spectacle remporte
un grand succès ; certainement une grande satisfaction pour un théâtre
qui prend le risque de sortir des sentiers battus du répertoire.
Placido CARREROTTI
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Notes
1. Pour ceux qui ne
connaîtraient pas l'anecdote, l'ouvrage de Rossini fut victime d'une
terrible cabale au soir de la première, une partie du public (les
Paisiellisti)
voyant d'un mauvais oeil un jeune godelureau venir piétiner les
plates-bandes du maître révéré. Selon la "légende
dorée", le compositeur (et chef d'orchestre) est chahuté
dès son entrée en raison d'un accoutrement un peu bizarre
; chantant un air de son choix ("Ecco ridente il cielo", ultérieurement
adapté d'Aureliano in Palmira, fut ajouté plus tard),
le ténor Garcia éprouve les plus grandes difficultés
à accorder sa guitare ; Basilio manque de se casser le nez dès
son entrée en trébuchant sur une trappe, mais continue à
chanter tout en épongeant son nez avec son mouchoir ; un chat survient,
qui se met à miauler : Figaro le chasse côté cour mais
l'animal, têtu, revient côté jardin et saute dans les
bras de Bartolo, avant de poursuivre Rosina terrifiée à l'idée
de se faire griffer ; finalement chassé par l'officier de police
(et grâce à son épée), le chat disparaît
accompagné de miaulements divers du public. Philosophe peut-être,
courageux certainement pas, Rossini pose la baguette à l'issue du
premier acte, salue les chanteurs et rentre s'aliter chez lui, prétextant
une soudaine maladie.
Il en sera tiré le lendemain,
le public ayant finalement reconnu s'être comporté injustement.
Depuis, le Barbier n'a pas
cessé de susciter l'engouement du public, devenant l'une des oeuvres
les plus jouées et les plus durablement inscrites au répertoire.
2. La critique musicale
a parfois tendance à apprécier le génie d'un compositeur
comme s'il n'écrivait que dans le détachement le plus absolu
!
3. Des mains de figurants,
dont on ne voit pas le corps, caressent et palpent Bartolo et Basilio ;
on les retrouvera au moment où les deux complices tentent de semer
le doute dans le coeur de Rosina.
4. A noter que la production
"resservira" ultérieurement pour la version Rossini.