Et vlan du balai ! Importée
de Berlin, cette production du Bühnenweihfestpiel (surtout
pour les wagnériens purs et durs !) n'aura séduit que les
inconditionnels d'Harry Kupfer.
Autant dire de suite que l'ouvrage
du Maître de Bayreuth nage dans une luxueuse nébuleuse au
fil des tableaux qui s'enchaînent dans un foutoir technique et lumineux,
certes du plus bel effet, mais dont il est permis de douter de la fidélité
aux intentions du musicien.
L'action s'ouvre dans le coeur d'un
quelconque vaisseau spatial - ou centrale nucléaire, allez savoir
!? - permettant sur des parois mouvantes en aluminium de saisissantes projections
dignes d'un électroencéphalogrammeÖ Vous pouvez trouver les
mêmes sur votre ordinateur équipé d'un lecteur de MP3.
C'est certes original, audacieux, digne des meilleures productions hollywoodiennes
genre X-Files ou La Guerre des Etoiles. Mais, cet alignement
de gadgets (au deuxième acte le héros est séduit par
des écrans de télévision, les Filles Fleurs chantant
dans la fosse d'orchestre), cette distanciation désirée par
rapport à la magie, au mysticisme, à la religion, voire même
à la mythologie soulève l'hilarité. Cette alchimie
de bazar, cette ironie même de tous les instants - ah ! l'aile d'avion
ou de fusée ou de quoi que ce soit à votre choix qui servira
aux cérémonies d'Amfortas, puis de donjon à Klingsor
et enfin de couche copulatrice entre Kundry et Parsifal - désacralisent
à jamais les propos du compositeur.
Les propos du metteur en scène
tombent finalement à plat.
Titurel et Klingsor apparaissent comme
les deux pôles d'un monde aux couleurs glaciales, stérile,
aseptisé, sectaire, ambigu même dans certaines attitudes fraternelles
des chevaliers simplement humains.
Dormez tranquilles, les couleurs seront
bien au rendez-vous pour un Enchantement du Vendredi-Saint de pacotille
avec ces cubes translucides publicitaires dignes d'un catalogue de fleuriste
de supermarché !! Vous l'avez compris, ici, la vérité
est ailleurs...
Par bonheur, aux images revêches
à la partition sublime et au texte subtil, le chant et la direction
d'orchestre emportent l'adhésion la plus complète. Les parties
orchestrales de la partition, on le sait, constituent le principal intérêt
de Parsifal. On a rarement entendu un Wagner aussi plein de rutilances
solistes, de sonorités impressionnistes. Sous la direction de Michail
Jurowsky la représentation atteint une intense émotion dramatique
à laquelle contribuent tant la perfection de l'orchestre que la
qualité exceptionnelle des interprètes.
Faut-il s'extasier encore sur la splendeur
vocale de Manfred Hemm ou louer son intelligence du texte, du geste, son
sens des nuances ou la tragique noblesse de son Gurnemanz ?
Faut-il s'étonner de la lamentation
lyrique et torrentielle d'Albert Dohmen ?
Josef Kapellmann se révèle
un Klingsor parfait, cauteleux et retors à souhait. Dans le rôle
titre Torsten Kerl est la jeunesse, le rayonnement, la pureté même.
Sa voix est ronde, fraîche, claironnante, rayonnante, le timbre chaud
barytonnant à souhait, l'aigu clair, facile. Un ténor à
suivre.
Lioba Braun enfin trouve avec Kundry
un rôle à la mesure de sa personnalité et de ses moyens
de grand mezzo dramatique car possédant un registre grave exceptionnel.
Tour à tour bête sauvage rampant sur le sol, esclave moralement
enchaînée, mère pleine de douceur ruisselante du lait
de tendresse humaine, femme féline, sensuelle qui prête aux
longues phrases de la séduction une beauté rarissime. Elle
charme, supplie, menace avec fureur, réussit à faire un personnage
attachant. Le regard de Marie-Madeleine pour le Christ en Croix...
Un exploit finalement dans ce spectacle
où une chatte ne retrouverait pas ses petits.
Christian COLOMBEAU