Parsi-fâlot
"Ce qui manque aux orateurs en profondeur,
ils vous le donnent en longueur" : ce trait d'esprit de Montesquieu
pourrait bien trouver à s'appliquer à Valery Gergiev, qui,
une fois n'est pas coutume, remplaçait James Levine à la
direction du Bühnenweihfestspiel wagnérien. Cinq heures et
demie : c'est en effet, avec les entractes, le temps qu'il aura fallu,
samedi après-midi au Met, pour arriver à bout de la dernière
oeuvre du maître de Bayreuth. Cinq heures trente, cela peut dans
certains cas se révéler trop court si le maestro parvient
à dégager du début jusqu'à la fin la substantifique
moelle de cette oeuvre sublime : pensons seulement au souffle quasi mystique
qui parcourt au disque la légendaire version Knappertbusch de 1952...
Hélas, rien de tout cela sous la direction du très médiatique
maestro russe, qui a plutôt eu tendance à rallier protagonistes
du drame et spectateurs à l'unisson des gémissements de Kundry
: "Schlafen, schlafen" ! Le prélude donnait déjà
une bonne idée de ce qui allait suivre : tempi comme écartelés,
procédant par bouts de phrases juxtaposées plutôt que
subordonnées à une claire vision d'ensemble, le tout dicté
par des gestes parkinsoniens improbables faisant penser à Jean-Paul
II donnant sa bénédiction urbi et orbi (histoire de nous
rappeler sans doute que Parsifal est une oeuvre d'inspiration religieuse).
Dans ces conditions, l'acte II, censé être un immense moment
d'intensité dramatique, prend des airs singuliers de conversation
de salon (thé et petits gâteaux en moins) où poses
forcées, regards inquiets sur les postes de contrôle et manque
de chaleur évident de la part de Plácido Domingo et Violeta
Urmana cachent mal un certain malaise à ne pas pouvoir donner libre
cours à leur talent.
© Ken Howard / Metropolitan
Opera
Les chanteurs sont toutefois dans l'ensemble
loin de démériter : à l'exception de Nicolai Putilin,
qui compose un Klingsor visiblement plus terrifié que terrifiant,
et d'un chevalier du Graal (dont nous tairons le nom par charité
toute parsifalienne), à l'accent allemand encore plus exotique que
le Ténorissimo, le reste de la distribution est de très grande
classe : René Pape, qui abordait ici le rôle du bavard Gurnemanz,
réussit une fois de plus une prestation exceptionnelle et vole du
même coup la vedette à Domingo à l'applaudimètre
: ses interventions pleines de noblesse, d'autorité et d'émotion
feraient presque regretter que Gergiev n'adopte pas des tempi encore plus
lents afin que l'on puisse se délecter de ses longs monologues à
l'acte I ! Falk Struckmann incarne un Amfortas émouvant, à
la voix puissante, tirant davantage du côté du poète
maudit, dépressif et monomaniaque que du roi mourant. Violeta Urmana
a pour elle une tessiture large et impressionnante, qui lui permet un bel
exercice de funambulisme vocal dans l'acte II, mais son engagement dramatique
demeure très en deçà de celui de Waltraud Meier, qui
avait signé le rôle dans la captation DVD de cette production
aux côtés d'un vaillant Siegfried Jerusalem : c'est un peu
en vain qu'on cherche chez elle la femme maudite, la séductrice
puis la mystique. Quant à Plácido, il chante davantage Plácido
que Parsifal, mais à soixante-deux ans, ce n'est déjà
pas si mal : si l'aigu, un peu mat, plafonne vite, le ténor espagnol
arrive toutefois à convaincre que dans le rôle du Reine Tor
à la tessiture centrale il a encore de beaux restes vocaux et une
intelligence scénique intéressante à faire valoir.
La mise en scène néo-classique
d'Otto Schenk, elle, passe mieux sur scène qu'en vidéo :
certes, il y a toujours toutes les petites kitscheries made in Met
(les petites marguerites sur la colline de Montsalvat à l'acte III
pour figurer le printemps sont un chef d'oeuvre du genre), mais les couleurs
et lumières, bien étudiées pour créer autour
de cet opéra un côté sombre et dramatique, se révèlent
particulièrement efficaces. La scène des filles-fleurs en
particulier, d'une luxuriance mortifère, est visuellement très
réussie.
Rémi Bourdot