C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
23/01/04

© DR
Arthur HONEGGER

LES AVENTURES DU ROI PAUSOLE

Opérette en trois actes 
sur un livret d'Albert Willemetz
d'après le roman de Pierre Louÿs
et une musique d'Arthur Honegger

Mise en scène : Mireille Larroche
Scénographie : Daniel Buren
Costumes : Jean-Pierre Capeyron
Lumières : Philippe Quillet
Chorégraphie : Francesca Bonato

Lionel Peintre : Le Roi Pausole
Cassandre Berthon : La Blanche Aline
Christophe Crapez : Taxis
Yves Coudray : Giglio
Françoise Masset : Mirabelle
Marie-Thérèse Keller : Diane à la Houppe
Christine Gerbaud : Dame Perchuque
Paul-Alexandre Dubois : Le Métayer
Edwige Bourdy : Thierrette 

Production de La Péniche-Opéra
Choeurs, orchestre et ballet de l'Opéra de Toulon

Direction : Sébastien Rouland

Opéra-Comique, le 23 janvier 2004



PRIMO LA PAROLA

Sous le règne de Pausole, roi de Tryphème, chacun a le droit de tout faire et de tout dire, hormis celui de nuire à son voisin. Le roi lui-même a peu de volonté et pour s'éviter la peine de choisir, son harem comprend autant de femmes qu'il y a de jours dans l'année (366 donc, car ce roi très prudent a prévu les années bissextiles). Mais pour ce qui est de sa fille unique, la jolie Aline, le voilà moins libéral : il entend qu'elle reste ingénue et prude. Une troupe de ballet vient à la cour et, dans la nuit, la belle s'enfuit avec le premier sujet... Elle apprendra par les travaux pratiques ce que c'est qu'un travesti. Conseillé de nuit par le ministre Taxis et de jour par le page Giglio, le Roi part à la recherche de sa fille chérie.

Au deuxième acte, le hasard mène la troupe dans la ferme même qui héberge les amours d'Aline et de Mirabelle (la femme qui se fait passer pour un homme qui se fait passer pour une femme : suis-je clair ?). Déguisé en fermière, le page peut tromper une Mirabelle perplexe et approcher d'Aline qui se découvre préférer, dans un trio, "le dur baiser de la fermière au doux baiser du travesti". Pendant ce temps, notre roi découvre les plaisirs de la ferme et de son bon lait frais, ce qui nous vaut une irrésistible parodie de l'air du Roi de Thulé et de sa coupe en or, toute bosselée.

Tandis que le page aide les amoureuses à s'enfuir et que Diane (l'épouse du jour à qui il ne reste que quelques heures pour assouvir le désir contenu de 365 jours de patience !) tente de ramener le roi vers le lit nuptial, le harem se révolte : Pausole a vite fait de répondre favorablement à toutes les revendications et l'acte se termine par l'hymne tryphémois : "Nous demandons qu'on nous foute la paix" (1).

Au dernier acte, nous sommes à l'Hôtel du Sein Blanc et de Westphalie réunis : la patience de Diane est enfin récompensée, mais, à son insu, par le page Giglio. Au matin, Pausole est un peu surpris, mais finalement ravi d'apprendre ses performances nocturnes (il apprendra plus tard son infortune).

Le petit-déjeuner nous vaut une amusante "entrée du chocolat espagnol" avec castagnettes obligato. Tandis que l'eunuque Taxis, qui a compris toute l'affaire, tente de ramener Mirabelle dans le droit chemin - il en perdra son portefeuille : c'est toujours délicat pour un ministre ! -, Giglio paie à nouveau de sa personne pour convaincre Aline de la supériorité masculine dans les choses de l'amour.

"Sondé" par le page, Pausole explique à Giglio que la meilleure façon d'obtenir le consentement d'un père, c'est de commencer par s'en passer. Pris ainsi au piège de sa morale indulgente, le roi se voit obligé d'accepter le mariage d'Aline et Giglio : "Après ma femme, ma fille : décidément, vous avez un penchant pour ma famille !".

Voilà résumée, en quelques lignes, la trame de l'excellent livret d'Albert Willemetz : sur ce vaudeville digne de Feydau, le chansonnier a composé des couplets et des dialogues drôlissimes que l'utilisation de l'alexandrin rend plus comiques encore. C'est dire si une bonne articulation du texte est ici primordiale pour permettre au public d'en apprécier la saveur sans un excès de concentration.

D'autant que la musique d'Arthur Honegger reste bien éloignée des standards de l'opérette. Du Honegger un peu dévergondé, ça reste quand même du Honegger : une musique savante, refusant la mélodie facile, une oeuvre hétéroclite jouant du mélange des styles ; rien de la recherche d'un succès garanti, une seconde audition rendant plus palpables les beautés et les richesses de cette oeuvre étrange. On est loin des partitions charmeuses et immédiatement accessibles de Christiné pour Dédé ou d'Yvain pour Là-Haut, musiques en communion idéale avec le texte de Willemetz (2)

Du point de vue de la diction, les artistes réunis pour cette production sont quasiment tous exemplaires.

Lionel Peintre est tout bonnement excellent en Pausole : vocalement, ce n'est pas parfait (surtout au démarrage, avant que la voix ne chauffe), mais la composition est épatante ; il apporte un grain de folie, un côté déjanté (on se rappelle de lui dans "V'lan dans l'oeil", il y a quelques années à Favart) qui compense sa relative jeunesse (3)

Le ministre Christophe Crapez associe une vraie voix de ténor d'opéra à un talent comique indéniable. Yves Coudray chante aussi parfaitement et se montre très à l'aise dans son rôle de séducteur alliant charme et gouaille. Cassandre Berthon nous gratifie d'une fort jolie voix dans la princesse Aline, elle aussi très à l'aise scéniquement.

La composition de Françoise Masset en travesti est certainement la plus originale, la plus crédible et la plus aboutie : physiquement et vocalement, c'est la séduction même ; techniquement, c'est sans doute l'artiste la plus accomplie du plateau.

Edwige Bourdy est hilarante en Thierrette (prononcez "tirette") avec un charmant accent méridional qui renforce le comique, jamais caricatural, de ses interventions (4). J'aurai plus de réserves vis-à-vis de Marie-Thérèse Keller : certes, les moyens vocaux sont largement supérieurs à ceux de ses collègues, mais sa technique d'émission, qui consiste à mettre un peu trop la voix dans le masque, rend l'articulation moins assurée ; difficile dans ces conditions de saisir tous le sel du texte, ce qui est plutôt frustrant. En Dame Perchuque, Christine Gerbaud est un peu juste vocalement (un placement de voix assez similaire à celui de Marie-Thérèse Keller) et la mise en scène la ridiculise exagérément. Enfin, Paul-Alexandre Dubois est impeccable en Métayer.

Après une ouverture un peu brouillonne, le jeune chef d'orchestre Sébastien Rouland conduit ses troupes avec succès, réussissant l'alternance des styles d'une partition compliquée et suivant les chanteurs sans jamais les couvrir. Sans se hisser au niveau de formations plus prestigieuses, les choeurs et l'orchestre de l'Opéra de Toulon remplissent très correctement leur mission.

La chorégraphie reste très légère, plutôt "Folies Bergères", mais évitant le mauvais goût : les danseuses sont clairement plus à l'aise dans les sourires que dans les entrechats, mais on ne leur en demande pas beaucoup plus.

La scénographie marque les débuts dans le genre du plasticien Daniel Buren et c'est assez réussi : un décor mouvant, "à tiroirs", fonctionnel, très géométrique, mais non dénué de charmes grâce à l'utilisation de couleurs très vives. Les costumes de Jean-Pierre Capeyron sont spectaculaires, généralement en harmonie avec le décor. A noter : des pantalons à rayures qui rappellent les célèbres colonnes... de Buren !

Malgré quelques recherches, je n'ai pas trouvé de photos de la production originale : j'aurais pourtant tendance à parier que les artistes féminines devaient être plus que légèrement vêtues, de sorte que le succès de l'ouvrage devait autant à l'étalage de beautés dénudées qu'aux qualités de l'oeuvre elle-même. C'est sans doute ce rapport au nu qui est le plus difficile à restituer aujourd'hui : une reconstitution s'inspirant des nombreux témoignages cinématographiques parvenus jusqu'à nous ("Gaumont Actualités présente : le tout-Paris se presse à la première de la nouvelle revue des Folies-Bergères") était possible ; toutefois, elle n'aurait guère eu de sens pour le spectateur contemporain. D'ailleurs, l'expression même légèrement vêtu" a quelque chose de désuet (au mieux), dans une société où des lycéennes à peine pubères font dépasser du pantalon le string, cadeau des parents pour Noël. Dans cette optique, Mireille Larroche a du mal à trouver le ton juste et à gérer cette problématique plutôt masculine. Son utilisation du nu - trois artistes : deux femmes et un homme,pas tous beaux à voir : les femmes portant d'ailleurs une culotte couleur chair - a quelque chose de froid et de clinique. Autre exemple : là où une oeillade "à la Maurice Chevalier" en dirait suffisamment, pourquoi simuler un coït ?

Pour le reste, la troupe est bien menée et le spectacle déjà bien sur les rails dès la première.
Une réussite donc, mais en demi-teintes.
 

Placido CARREROTTI

Notes

(1) Je ne résiste pas à citer le discours du Roi Pausole au final de l'acte II : une prémonition que le temps aura rendu plus émouvante que drôle.

"Vous êtes heureux et libres
Le budget est en équilibre
Vous n'avez pas un seul chômeur
Votre argent garde sa valeur.
Même lorsque la Bourse baisse
Vous avez de l'or plein vos caisses
Bien que tout ne soit pas pour rien
Vous vivez quand même très très bien.

Quand on songe aux pays des autres,
On se trouve bien dans le nôtre.
C'est pourquoi certains étrangers
Avec nous voudraient bien changer, 
Pourquoi certains nous asticotent
Et font entendre un bruit de bottes, 
Pourquoi certains amis suspects
Voudraient bien troubler notre paix.

(...)

A ton voisin, il ne faut jamais nuire
A ton voisin, jamais tu ne nuiras.
Mais à part ça, fait tout c'que tu désires,
Mais à part ça, fait tout c'que tu voudras.

Y'en a plein l'dos d'avoir toujours des guerres, 
Depuis Clovis, depuis Hugues Capet.
Pour être heureux, nous ne demandons guère : 
NOUS DEMANDONS QU'ON NOUS FOUTE LA PAIX "

Quelques années plus tard, c'était la catastrophe de 39-40 : d'autres étaient bien décidés à ne pas "nous foutre la paix".

(2) Deux oeuvres reprises à Paris en 1998 : Dédé dans cette même salle Favart et Là-Haut au Théâtre des Variétés.

(3) Une incarnation sans doute très différente de celle du créateur Dorville qu'une photo du programme nous montre comme un vieux viveur : une bonne génération les sépare. 

(4) Ces interventions sont nombreuses, mais secondaires par rapport à l'intrigue : c'est pourquoi je ne les mentionne pas dans mon rapide résumé.

(5) Plus de 400 représentations : je ne croirai jamais que c'était pour la musique d'Honegger !

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]