Fribourg en Champagne !
Depuis bientôt vingt ans, à
chaque Saint-Sylvestre, une équipe de mordus d'opéra monte
une oeuvre lyrique dans un théâtre improvisé. Par rapport
aux premiers spectacles, pourvus d'un budget de quelques dizaines de milliers
d'euros, le dernier en date frise le grand luxe avec six cent mille euros
! Ville sans théâtre oblige, c'est dans l'aula de l'Université
que l'Opéra de Fribourg prend ses quartiers lyriques. Un hémicycle
garni de gradins aux sièges peu confortables surplombe une scène
sans profondeur. Au plafond, une rampe de lumières éclaire
le plateau. Entre la scène et les gradins, quelques mètres
d'un demi-cercle servent de fosse à l'orchestre. Malgré ces
conditions spartiates, chaque nouveau spectacle s'avère surprenant
de qualité et de vivacité et enthousiasmant de générosité.
Cultivant l'originalité de sa programmation - les dernières
saisons ont vu des raretés comme Le Triptyque de Puccini,
le Songe d'une Nuit d'été de Britten ou L'Étoile
de Chabrier, 2005 verra une nouvelle production de La Pietra del Paragone
de Rossini - l'Opéra de Fribourg, en coproduction avec l'Opéra
Théâtre de Besançon, a choisi de mettre Arthur Honegger
à l'affiche. Et le moins qu'on puisse dire c'est que la réputation
de la fondue fribourgeoise au vacherin pâlit devant cette pétillante
lecture du Roi Pausole : c'est Fribourg en Champagne !
C'est endetté et en proie à
de graves difficultés que l'Arthur Honegger du Roi David,
de la Symphonie des Psaumes, de Pacific 231, de Jeanne
au bûcher, accepte de mettre en musique cette opérette.
Mais l'admirable livret en vers d'Albert Willemetz l'a magnifiquement inspiré.
Le compositeur suisse signe l'une de ses oeuvres les plus abordables en
même temps que parmi les plus charmantes. Pour preuve, il suffit
d'entendre l'Orchestre de Chambre de Genève sous la direction de
son délicat mentor, Laurent Gendre. Sous sa baguette, l'orchestre
scintille comme la comédie grivoise qui se déroule sur scène.
Dirigeant avec souplesse, exacerbant l'humour de la partition, le jeune
chef d'orchestre soutient les protagonistes dans le dédale de cette
pièce croustillante. Galvanisant instrumentistes et chanteurs à
la faveur d'une écoute réciproque et complice, il réussit
aussi à créer l'homogénéité au sein
d'une distribution de solistes aux talents variés.
(© Opéra de Fribourg)
Sur scène, le théâtre
boulevardier déborde de toutes parts. Artisan de ce véritable
feu d'artifice, le metteur en scène Vincent Vitoz ficelle l'ouvrage
de clins d'oeil et de références contemporaines. Ainsi son
Roi Pausole est un parfait Monsieur Hulot. Vêtu de rouge, le pantalon
trop court, le chapeau mou bordé d'une couronne, son Pausole se
révèle touchant de bonté. Le conseiller Taxis est
un Mazarin de comédie, Giglio un nouveau Marlon Brando et les femmes
de chambre d'excitées soubrettes toutes droites sorties de Benny
Hill. Mais Vitoz, lui, sait faire jaillir le rire et flirter avec l'indécence
sans jamais tomber dans la vulgarité. Il "burlesque" sans grotesque,
rythme l'action en réfrénant le geste pour que jamais le
comique visuel ne supplante la finesse d'un texte immensément cocasse.
Tout le plateau gravite autour de Pierre
Villa-Loumagne (Le Roi Pausole), extraordinaire de présence. Jouant
de sa voix en excellent musicien et en parfait comédien, il imprègne
son personnage d'une naïveté irrésistible. A ses côtés,
Vincent Vitoz change de casquette pour incarner Taxis. Superbement détestable,
il porte ce personnage éminemment antipathique vers des sommets
de bouffonnerie. Par contre, en séducteur, Sébastien Droy
(Giglio) convaincrait davantage si sa jolie voix avait une autre puissance.
Chez ces dames, le niveau est globalement assez bon. Toutefois, si l'opérette
n'est évidemment pas là pour révéler les Callas
de demain, il est dommage que le bel instrument de Myriam Boucris (Diane
à la Houppe) souffre d'une prononciation française approximative,
qui dessert la gouaille du personnage. A noter, l'aisance sur scène
et la fort jolie voix de Lauranne Jaquier (Thierette), une artiste à
suivre.
On pourra regretter que les "petits"
rôles n'aient pas été confiés à des artistes
plus expérimentés, qui auraient assuré la totale réussite
de cette soirée. L'impréparation tant vocale que dramatique
de certains interprètes entraîne un important déséquilibre.
De même, l'exiguïté du plateau n'autorise guère
les grandes envolées des danseurs de l'Atelier Ruda Béjart
Lausanne. Moins dévoreuses d'espace, mais sans doute aussi mieux
synchronisées, celles-ci auraient gagné en efficacité.
Jacques SCHMITT
Prochaines reprises :
Genève
Bâtiment des Forces
Motrices
Le 24 janvier 2004 à
20h.
Düdingen
Podium
Les 28 et 29 janvier 2004
à 19h30
Lausanne
Théâtre de
Beaulieu
Le 3 février 2004
à 20h.
Besançon
Opéra Théâtre
Le 8 février 2004
à 20h