C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
METZ
14/01/05
Magali Léger
© DR
Les Pêcheurs de perles

Opéra en trois actes de Georges BIZET

Leïla : Magali LEGER
Nadir : Martial DEFONTAINE
Zurga : Evgueniy ALEXIEV
Nourabad : René SCHIRRER

Version de concert

Direction musicale : Jacques MERCIER

Orchestre National de Lorraine
Choeur Nicolas de Grigny (Reims) 

Arsenal - Metz

Vendredi 14 janvier 2005

Dans le cadre de la programmation de l'Orchestre national de Lorraine, nous avons le plaisir d'assister à une représentation de concert des Pêcheurs de perles, ouvrage d'un charme indéniable quoique légèrement suranné d'un compositeur de vingt-cinq ans, encore tributaire de certaines influences (mais certainement pas de l'influence wagnérienne dénoncée par certains critiques à la création !), en bénéficiant de l'acoustique exemplaire de la grande salle de l'Arsenal. Le concert permet d'oublier l'indigence d'un livret dont les auteurs (Michel Carré et Eugène Cormon) avaient été les premiers à regretter les faiblesses, pour se concentrer sur les qualités de la partition. En effet, si Bizet apparaissait encore prisonnier des conventions de son époque et laissait peu deviner du génie dramatique qui s'exprime dans Carmen, ses Pêcheurs de perles ne manquaient pas d'atouts, et Berlioz, critique aussi lucide qu'exigeant, prit d'ailleurs la plume pour défendre un ouvrage recelant selon lui "un nombre considérable de beaux morceaux expressifs pleins de feu et d'un riche coloris". A l'aune du chef-d'oeuvre à venir, cela peut sembler peu, c'est certain ; pour autant, la partition ne mérite probablement pas le dédain qui lui est ordinairement réservé par une certaine élite intellectuelle autoproclamée dont le sectarisme continue à faire beaucoup de tort à l'art lyrique. Les Pêcheurs de perles ne sont certes pas visités par le génie, mais ils témoignent d'un métier très sûr au regard de la jeunesse d'un compositeur déjà habile à trousser la mélodie et à colorer l'orchestre pour composer un orientalisme sans doute désuet mais tout à fait séduisant.

Il faut féliciter les quatre protagonistes qui chantent (presque toujours) sans partition, ce qui, même en l'absence de mise en espace, leur confère une liberté d'attitude et de mouvement bienvenue. Il faut aussi souligner la qualité de leur prononciation : le texte est généralement compréhensible, et c'est trop rarement le cas même lorsque l'on fait appel à des chanteurs francophones.

La triomphatrice de la soirée est la très séduisante Magali Léger. Elle possède un physique idéal pour Leïla, et l'on peut affirmer que son ramage égale son plumage. On admire sans restriction la personnalité et la richesse du timbre, la liberté de l'aigu et la facilité de la vocalise. Dès son air du premier acte (" Dans le ciel sans voile "), elle envoûte le public qui n'a qu'une envie, celle de s'associer aux choeurs pour chanter :

Ah ! chante, chante encore !
Oui, que ta voix sonore,
Ah ! que ton chant léger [sic],
Loin de nous chasse tout danger !
La cavatine du deuxième acte est tout aussi séraphique, et le public ovationne une chanteuse aussi convaincante dans le murmure que dans la virtuosité, avec des aigus électrisant. Une prestation irrésistible, sinon mémorable ! Grâce à Magali Léger, une étoile a brillé dans le ciel lorrain pourtant noyé par le brouillard.

Le ténor Martial Defontaine ne manque pas de qualités : la voix est sonore, le timbre séduisant et le style châtié. Malheureusement pour lui, il rate la romance, véritable "tube" de la partition et à ce titre très attendue. Le parti pris de délicatesse vocale vire en effet rapidement à l'excès de préciosité, la voix se détimbre et l'on finit par frôler l'accident. Il ne faut toutefois pas tenir rigueur à ce jeune chanteur de cette prise de risque excessive car, dans le reste de la représentation, il parvient à nous charmer et à nous convaincre notamment de sa capacité à utiliser le falsetto à bon escient.

Le jeune baryton bulgare Evgueniy Alexiev, après avoir donné quelques légers signes d'engorgement au premier acte, se libère et compose un Zurga sonore et convaincant. Il tire en particulier un très bon parti de son air du troisième acte avec une concentration de timbre, une projection et une adéquation stylistique qui laissent penser que ce chanteur possède un véritable avenir dans le répertoire français de demi-caractère, plus adapté à ses moyens actuels que le baryton Verdi de Renato. L'élément les plus expérimenté de cette distribution est René Schirrer (déjà Nourabad à Bordeaux en 1997 dans la production de Petrika Ionesco), solide grand prêtre qui fait admirer son autorité et sa diction.

Enthousiaste et bondissant, Jacques Mercier semble avoir pour principal parti de faire sonner et rutiler son orchestre, toujours plus convaincant au concert que dans la fosse de l'Opéra Théâtre, dont il ne parvient pas à dominer l'acoustique très sèche. Cette lecture alerte ne s'embarrasse pas de subtilités, dans une partition qui en comporte peu, il est vrai, et dont les rythmes obstinés témoignent souvent des faibles exigences, mais se révèle d'une véritable efficacité, comme dans le finale échevelé du deuxième acte. On regrettera cependant qu'emporté par son élan généreux, l'orchestre ait parfois tendance à couvrir les voix. Les instrumentistes se mettent en évidence, à l'image du quatuor à cordes qui précède l'entrée de Leïla, et témoignent de la belle forme de l'Orchestre national de Lorraine.

Je n'oublierai pas de mentionner la remarquable participation du choeur Nicolas de Grigny, dirigé par Jean-Marie Puissant. Son large effectif lui permet de donner du poids à chacune de ses interventions, et l'on admire sa discipline ainsi que sa précision exemplaires, à laquelle n'est sans doute pas étrangère une fréquentation assidue du répertoire sacré. Il apporte sa contribution à la réussite de cette excellente soirée lyrique.
 
 

Vincent DELOGE
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]