Dans
le cadre de la programmation de l'Orchestre national de Lorraine, nous
avons le plaisir d'assister à une représentation de concert
des Pêcheurs de perles, ouvrage d'un charme indéniable
quoique légèrement suranné d'un compositeur de vingt-cinq
ans, encore tributaire de certaines influences (mais certainement pas de
l'influence wagnérienne dénoncée par certains critiques
à la création !), en bénéficiant de l'acoustique
exemplaire de la grande salle de l'Arsenal. Le concert permet d'oublier
l'indigence d'un livret dont les auteurs (Michel Carré et Eugène
Cormon) avaient été les premiers à regretter les faiblesses,
pour se concentrer sur les qualités de la partition. En effet, si
Bizet apparaissait encore prisonnier des conventions de son époque
et laissait peu deviner du génie dramatique qui s'exprime dans Carmen,
ses Pêcheurs de perles ne manquaient pas d'atouts, et Berlioz,
critique aussi lucide qu'exigeant, prit d'ailleurs la plume pour défendre
un ouvrage recelant selon lui "un nombre considérable de beaux morceaux
expressifs pleins de feu et d'un riche coloris". A l'aune du chef-d'oeuvre
à venir, cela peut sembler peu, c'est certain ; pour autant, la
partition ne mérite probablement pas le dédain qui lui est
ordinairement réservé par une certaine élite intellectuelle
autoproclamée dont le sectarisme continue à faire beaucoup
de tort à l'art lyrique. Les Pêcheurs de perles
ne sont certes pas visités par le génie, mais ils témoignent
d'un métier très sûr au regard de la jeunesse d'un
compositeur déjà habile à trousser la mélodie
et à colorer l'orchestre pour composer un orientalisme sans doute
désuet mais tout à fait séduisant.
Il faut féliciter les quatre
protagonistes qui chantent (presque toujours) sans partition, ce qui, même
en l'absence de mise en espace, leur confère une liberté
d'attitude et de mouvement bienvenue. Il faut aussi souligner la qualité
de leur prononciation : le texte est généralement compréhensible,
et c'est trop rarement le cas même lorsque l'on fait appel à
des chanteurs francophones.
La triomphatrice de la soirée
est la très séduisante Magali Léger. Elle possède
un physique idéal pour Leïla, et l'on peut affirmer que son
ramage égale son plumage. On admire sans restriction la personnalité
et la richesse du timbre, la liberté de l'aigu et la facilité
de la vocalise. Dès son air du premier acte (" Dans le ciel sans
voile "), elle envoûte le public qui n'a qu'une envie, celle de s'associer
aux choeurs pour chanter :
Ah ! chante, chante encore
!
Oui, que ta voix sonore,
Ah ! que ton chant léger [sic],
Loin de nous chasse tout danger !
La cavatine du deuxième acte est
tout aussi séraphique, et le public ovationne une chanteuse aussi
convaincante dans le murmure que dans la virtuosité, avec des aigus
électrisant. Une prestation irrésistible, sinon mémorable
! Grâce à Magali Léger, une étoile a brillé
dans le ciel lorrain pourtant noyé par le brouillard.
Le ténor Martial Defontaine
ne manque pas de qualités : la voix est sonore, le timbre séduisant
et le style châtié. Malheureusement pour lui, il rate la romance,
véritable "tube" de la partition et à ce titre très
attendue. Le parti pris de délicatesse vocale vire en effet rapidement
à l'excès de préciosité, la voix se détimbre
et l'on finit par frôler l'accident. Il ne faut toutefois pas tenir
rigueur à ce jeune chanteur de cette prise de risque excessive car,
dans le reste de la représentation, il parvient à nous charmer
et à nous convaincre notamment de sa capacité à utiliser
le falsetto à bon escient.
Le jeune baryton bulgare Evgueniy Alexiev,
après avoir donné quelques légers signes d'engorgement
au premier acte, se libère et compose un Zurga sonore et convaincant.
Il tire en particulier un très bon parti de son air du troisième
acte avec une concentration de timbre, une projection et une adéquation
stylistique qui laissent penser que ce chanteur possède un véritable
avenir dans le répertoire français de demi-caractère,
plus adapté à ses moyens actuels que le baryton Verdi de
Renato. L'élément les plus expérimenté de cette
distribution est René Schirrer (déjà Nourabad à
Bordeaux en 1997 dans la production de Petrika Ionesco), solide grand prêtre
qui fait admirer son autorité et sa diction.
Enthousiaste et bondissant, Jacques
Mercier semble avoir pour principal parti de faire sonner et rutiler son
orchestre, toujours plus convaincant au concert que dans la fosse de l'Opéra
Théâtre, dont il ne parvient pas à dominer l'acoustique
très sèche. Cette lecture alerte ne s'embarrasse pas de subtilités,
dans une partition qui en comporte peu, il est vrai, et dont les rythmes
obstinés témoignent souvent des faibles exigences, mais se
révèle d'une véritable efficacité, comme dans
le finale échevelé du deuxième acte. On regrettera
cependant qu'emporté par son élan généreux,
l'orchestre ait parfois tendance à couvrir les voix. Les instrumentistes
se mettent en évidence, à l'image du quatuor à cordes
qui précède l'entrée de Leïla, et témoignent
de la belle forme de l'Orchestre national de Lorraine.
Je n'oublierai pas de mentionner la
remarquable participation du choeur Nicolas de Grigny, dirigé par
Jean-Marie Puissant. Son large effectif lui permet de donner du poids à
chacune de ses interventions, et l'on admire sa discipline ainsi que sa
précision exemplaires, à laquelle n'est sans doute pas étrangère
une fréquentation assidue du répertoire sacré. Il
apporte sa contribution à la réussite de cette excellente
soirée lyrique.
Vincent DELOGE