C'est une immense émotion que
d'assister à une représentation de Pelléas et Mélisande
dans le lieu de sa création, cent ans jour pour jour après
celle-ci. Emotion un peu tempérée par le fait qu'il s'agisse
d'une version de concert, mais après tout, ne vaut-il mieux pas
fermer les yeux et créer ses propres images qu'être déçu
par ce que l'on voit ?
Le concert commence pour un bref discours
de Marc Minkowski, rendant hommage à Jacques Jansen, récemment
décédé, qui avait prévu d'assister au spectacle,
et à Hugues Cuénod et Irène Aïtoff, bien vivants
et présents dans la salle, Hugues Cuénod affichant vaillamment
le même age que l'opéra célébré ce jour,
c'est à dire un siècle !
Les interprètes ont été
largement à la hauteur de leur tâche, et on peut raisonnablement
penser que les chanteurs d'aujourd'hui n'ont rien à envier à
ceux d'hier. Tous ceux présents ce soir là ont témoigné
d'une diction parfaite, d'un goût et d'un style irréprochable
et d'une connaissance intime de l'oeuvre.
Magdalena Kozena est une Mélisande
au timbre plein et pulpeux, et loin des petites filles éthérées,
elle dresse un véritable portrait de femme, quelquefois têtue
("je reste ici"), quelquefois boudeuse ("pourquoi dis-tu toujours que tu
t'en vas"), toujours présente et charnelle.
Le jeune Jean-Sébastien Bou,
dont on parle de plus en plus après son Werther à Tours,
est également un excellent Pelléas, à l'aise sur toute
la tessiture, aux aigus faciles, y compris dans le terrifiant dernier acte.
Le timbre est sombre, celui d'un vrai baryton, plus sombre que celui du
Golaud de François Le Roux, ce qui donne certains effets inhabituels
et intéressants dans les confrontations entre les deux frères.
François Le Roux dessine un
Golaud d'un pathétisme saisissant. Plus à l'aise dans les
scènes en demi-teinte, comme celle avec Yniold, que dans les scènes
véritablement violentes (quand il traîne Mélisande
par les cheveux), sa scène finale est proprement bouleversante.
Un Golaud torturé, réellement "à faire pleurer les
pierres".
Excellent Arkel, sonore, bien timbré,
à la prononciation parfaite, du pourtant très jeune, du moins
pour ce rôle, Jérôme Varnier. Nathalie Stutzmann est
une Geneviève de grand luxe. Seul point faible de la distribution,
Armelle Cardot, issue de la maîtrise de Radio France, en Yniold :
la voix est trop mûre pour celle d'un enfant et trop enfantine pour
celle d'une chanteuse, ce qui cumule les handicaps liés à
la distribution de ce rôle.
La déception vient, hélas,
de la direction musicale : le Mahler Chamber Orchestra joue beaucoup
trop fort et couvre les chanteurs, ce qui est un comble dans cette oeuvre.
Les accents wagnériens de l'orchestre agacent très vite,
puis deviennent proprement insupportable quand il est impossible d'entendre
la déclaration d'amour de Pelléas sous ce déluge de
décibels. Le problème vient probablement de ce qu'il est
situé sur scène, et non pas dans une fosse. Il n'empêche
qu'il revenait à Marc Minkowski de tempérer les ardeurs de
ses musiciens, et d'imposer plus de subtilité et de transparence.
Dommage.
Catherine Scholler