Photo - opéra de Montpellier
Aux bords des larmes...
C’est au bord des larmes que nous sortons du Pelléas de Montpellier, rejoindre, temps de circonstance, un froid et une pluie battante bien peu conformes aux douceurs habituelles de la région.
Au bord des larmes car sans réserve aucune, il était dur de résister à un pareil spectacle, et puis Zut, il convient de le redire : Dieu que cette musique est belle !
Et ce n’est pas parjure que de prêter à Armin Jordan les soutiens célestes pour nous avoir fait vibrer si intensément. Armé du très bel Orchestre National de Montpellier, le Maître (habitué de l’œuvre) connaissant les moindres recoins de la partition, tisse une ambiance sonore à la fois d’une clarté toute transparente et aux couleurs soyeuses et lumineuses . Les élégantes phrases de Debussy s’étirent dans une chatoyance solaire, sans oublier de se faire féroces quand il le faut, donnant à entendre toute l’évidence du chef d’œuvre, qui vous traversent littéralement et qui aujourd’hui encore vous enivre par son discours.
Les chanteurs non plus ne sont pas en reste de notre admiration, la distribution est d’une rare homogénéité et sans faille , réservant eux aussi de très beaux moments (le monologue de la lettre de Geneviève, les duos Arkel-Mélisande, Golaud-Yniold... )
Après l’avoir récemment gravé au disque ( enregistrement publié chez Naïve sous la direction de Bernard Haitink), on retrouve avec grand bonheur Hanna Schaer en Geneviève. Si la voix peut paraître un peu fébrile sur certain points de la tessiture, la maîtrise du rôle et les inflexions de la voix vous hérissent le poil, tout chez cette superbe musicienne concourt à l’émotion et force l’admiration. A ses côtés, Fernand Bernadi campe parfaitement cet Arkel « d’outre tombe, à la tendresse désintéressée et prophétique de ceux qui vont bientôt disparaître », voulu par Debussy, lui répond le Golaud ferme et autoritaire, s’attendrissant en fin de parcours, de François Le Roux. La voix superbe du baryton français , riche et ample, s ‘accorde à merveille avec le Pelléas , au timbre juvénile et au comportement un peu gauche de Wiliam Burden qui lui aussi donne à voir un beau personnage.
Les Yniold d’Elizabeth Calleo et Médecin de Jérôme Varnier, montrent bien autre chose que des seconds rôles, chacun avec les voix adéquates et une musicalité évidente s’employant à donner un véritable corps à leur rôle.
Reste la sublime Alexia Cousin, Mélisande rêvée ,déjà découverte dans le rôle à Genève. L’âge et le physique bien sûr, mais la voix , souple , belle ; et l’interprétation , un peu à contre-pied de ses consœurs, beaucoup plus espiègle et hardie, change la conception qu’on pouvait se faire du rôle , mais quelle réussite ! Elle tient de bout en bout son chant, intérieur quand elle est seule et malheureuse, céleste quand elle est aux côtés de Pelléas, tendu avec Golaud et poignant dans ses confidences au vieil Arkel.
Yannis Kokkos invente pour l’occasion une scénographie ingénieuse et élégante, le fond de scène étant tendu d’un velum à la fois transparent et réfléchissant, jouant sur les renvois d’image et les jeux de miroirs. Pas de décors et d’accessoires superflus, il dirige ses acteurs d’une manière efficace et là encore la réussite est évidente.
Restent en mémoire de superbe tableaux, et la musique enivrante et obsédante de Debussy, Dieu qu’il doit être doux de s’aimer sous ces hauspices là...
Loïc Lachenal