Pierre Jourdan poursuit sa politique
d'exploration et de résurrection d'oeuvres inconnues ou méconnues
du répertoire lyrique français.
Pour l'inauguration de la saison 2001/2002
du Théâtre impérial, son choix, motivé par le
100e anniversaire du séjour au château de Compiègne
du Tsar Nicolas II de Russie, s'est porté sur un opéra-comique
en 3 actes de Grétry, Pierre Le Grand, créé en 1790.
André-Ernest-Modeste Grétry
fut incontestablement, en France, le maître de l'opéra-comique
durant la deuxième moitié du 18ème siècle composant
sans discontinuer pendant une trentaine d'années( Isabelle et Gertrude
: premier opéra-comique en 1766).
Ainsi, il a traversé sereinement
les différents régimes politiques de cette période
troublée de l'histoire, les turbulences de la révolution
de 1789 n'ayant freiné en rien son inspiration.
Grétry est à l'origine
d'une quarantaine d'opéras-comiques dont la musique est caractérisée
par une grâce naïve, une spontanéité, une simplicité,
un naturel qui ont pu toucher la sensibilité du public de l'époque.
L'histoire de l'opéra est plutôt
simple, on peut la résumer par la rencontre amoureuse de Pierre
Alexeïvitch et de Catherine, paysanne de Livonie, qui deviendra la
future Tsarine ; l'action se passe sur un chantier naval proche de la Baltique,
Pierre y travaille comme ouvrier et cherche à se mêler au
peuple, à travailler et vivre avec lui afin de mieux le comprendre.
Les autres personnages (Georges, Geneviève,
Caroline) à l'exception peut-être du futur ministre François
Lefort, sont surtout là pour meubler.
A travers cet ouvrage, Grétry
a visiblement cherché à rendre hommage à Louis XVI
et à son ministre Necker.
Soucieux de rendre l'oeuvre plus attrayante
pour un public de l'an 2001, Pierre Jourdan a modifié l'intrigue
et les dialogues parlés originaux, désuets. Pour cela, il
a transposé l'action en 1790 et a imaginé qu'une tournée
de théâtre ambulant était organisée par les
responsables parisiens de la nouvelle pensée humaniste, tournée
destinée à parcourir les moindres villages des provinces
françaises.
Un personnage nouveau, le commissaire
du peuple, joué admirablement par le comédien François
Feroleto, va propager cette nouvelle pensée et, par le biais des
chanteurs-acteurs, l'illustrer grâce à l'histoire du monarque
éclairé, de sa jeunesse, de son aspect "Tsar ouvrier".
Vocalement, s'il n'y a pas de révélation,
l'équipe, jeune, a au moins le mérite d'être homogène.
Christophe Einhorn, ténor léger,
a un joli timbre( quoiqu'un peu nasillard), peine parfois dans les aigus
et manque un peu de naturel.
Anne-Sophie Schmidt est scéniquement
plus convaincante mais sa voix de soprano lyrique manque un peu de projection
(on l'entend mal malgré la petitesse de l'orchestre).
Le baryton Philippe Le Chevalier a
une jolie voix et prononce admirablement bien.
Parmi les rôles secondaires,
on retiendra le timbre d'une exquise fraîcheur de Céline Victores-Benavente
(qui fera certainement parler d'elle).
Le petit orchestre de Olivier Opdebeeck,
réduit à onze instrumentistes habillés, tout comme
les chanteurs, en costume révolutionnaire, a quitté la fosse
pour jouer dans un coin du plateau.
La direction du chef manque parfois
d'énergie et n'est pas toujours alerte (par comparaison à
celle de Stefan Sanderling dans son disque d'ouvertures et suites).
Les choeurs de Namur sont par contre
admirables de précision.
Les costumes de Vivaine Aubry flattent
l'oeil par leur élégance et leurs couleurs vives.
Pierre Jourdan, en nous présentant
un spectacle, distrayant, agréable, plein d'humour, a réussi
son pari : la salle comble et les applaudissements chaleureux du public
en furent la preuve.
Alain Colloc