Il pirata est un opéra
rarement donné, et le fait de l'entendre, même en version
de concert, est déjà un événement en soi, mais
quand Imogene est interprétée par Renée Fleming, l'événement
se transforme en bonheur le plus complet.
Beauté du timbre, onctuosité
et puissance des graves, perfection des sons filés, goût parfait
dans l'exécution des cadences, Renée Fleming a encore une
fois transporté son public, qui lui a réservé un véritable
triomphe. Avec son timbre crémeux et sucré, Renée
Fleming est le petit Flamby du mélomane !
Consolons immédiatement les
esprits chagrins, la prestation n'a pas été parfaite. Les
aigus en particulier étaient tirés, voire craqués
à plusieurs reprises. Il est vrai aussi que l'interprète
utilise toujours les mêmes inflexions, qu'elle chante du Massenet,
du Haendel ou du Bellini. Toute la panoplie de charme était au rendez-vous
: petits sanglots mouillés, notes prises par-dessous ou se terminant
sur un soupir ... Mais reproche-t-on à un petit Flamby d'avoir toujours
le même goût ? Surtout quand la saveur est divine !
Il existe deux catégories d'auditeurs
du ténor Marcello Giordani : la première entendra avant tout
le désagréable graillon qui voile son timbre, la moitié
des aigus poussés au forceps et la justesse parfois approximative,
et soupirera, résignée. La deuxième entendra surtout
la vaillance de l'interprète, son engagement farouche et l'autre
moitié de ses aigus, superbes d'insolence, et applaudira à
tout rompre.
En Ernesto, le baryton russe Albert
Schagidullin a été une révélation pour certains
auditeurs : la vocalisation est facile, les aigus vaillants et l'interprétation
autoritaire. Il m'a pourtant semblé que la voix n'était pas
très bien placée, s'étouffant dans le grave jusqu'à
devenir inaudible, et partant en arrière dans l'aigu. Etant seule
à avoir entendu ces défauts, j'en mets la responsabilité
sur une incompatibilité entre mon oreille et son timbre.
Les voix masculines étaient
ainsi idéales pour Renée Fleming : pas assez mauvaises pour
gâcher la représentation, comme c'est le cas dans certains
enregistrements de Maria Callas ou de Joan Sutherland, et à ce titre
le trio du deuxième acte a été proprement magique,
mais suffisamment neutres pour la propulser seule à l'attention
du public.
L'orchestre était excellent,
sous la direction brillante, vivante et nerveuse d'Evelino Pido.
Catherine Scholler