les concerts de Forum Opera
Eisenstein/Prokofiev Cathédrale de Laon,
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C'est
à un spectacle extraordinaire que nous conviait le Festival de Musique
de Laon: la projection du film d'Eisenstein "Alexandre Nievsky" (1938)
accompagnée en live de la musique de Prokofiev, le tout dans le
cadre somptueux de la magnifique cathédrale de la ville, un des
chefs d'oeuvre du premier gothique, à l'acoustique étonnamment
remarquable.
L'interprétation en direct de la musique est possible car il s'agit là d'un des premiers films parlants, où des scènes entièrement parlées alternent avec de grandes plages musicales (avec très peu de dialogues voire pas du tout), c'est donc, pratiquement, soit la musique soit les paroles, d'où une alternance à Laon entre le son original du film (faiblement amplifié hélas) pour les dialogues et le son en direct pour la musique. Il est indéniable que cette association est saisissante, même si certains peuvent émettre des réserves sur le procédé. C'était le cas lorsque Yuri Temirkanov avait fait la même expérience, notamment à Paris il y a quelques années: d'aucuns préféraient le son mono et un peu lointain de 1938, notamment les trompes des allemands que Prokofiev avait fait enregistrer en plaçant les micros pratiquement dans le pavillon des cors, afin de créer un son saturé évoquant le côté barbare de l'envahisseur, alors que, avec la musique en direct, on a un son "propre". Vaste, mais intéressant, débat... (1) Je ne m'étendrai pas trop sur le film lui même d'Eisenstein, si ce n'est pour dire qu'il s'agit là, avec "Le Cuirassé Potemkine", d'un des chefs d'oeuvre du cinéaste mais aussi du cinéma. Le souffle épique de cette grande fresque est conduit d'une main de maître, avec des scènes de foule absolument admirables. La célèbre bataille sur la glace est à ce titre un chef d'oeuvre en soi avec un montage étourdissant, avec ses prises de vue d'une variété incroyable pour l'époque, allant jusqu'à une (courte) prise caméra à l'épaule: du reportage digne d'un 20h avant l'heure !! A ce chef d'oeuvre cinématographique répond, ou plutôt s'associe (on sait le profond travail en commun des deux artistes), la musique magnifique de Prokofiev qui traduit admirablement le côté "grande fresque" de ce film. A Laon, c'est l'Orchestre National de Belgique qui interprétait l'oeuvre avec le Choeur de Namur, et la mezzo Beata Morawska, le tout dirigé par Jean-Louis Vicart. Si l'orchestre était satisfaisant,
il n'en était pas de même du choeur de Namur, nettement insuffisant
en nombre, mais aussi en qualité. C'était vraiment très
gênant, tant les choeurs sont sollicités dans cette partition.
Par contre la mezzo Beata Morawska fut admirable de finesse et d'émotion
dans sa sublime déploration après la bataille. S'il faut
reconnaître le très beau travail de synchronisation entre
musique et images de la part de Jean-Louis Vicart, on ne peut que regretter
son absence de nerfs et d'intensité dans sa direction. Au final,Ý
une interprétation assez terne, qui ne nous soulevait guère.
Il y a 3 ans, le Festival de Laon
nous avait convié à un spectacle similaire: le film muet
de Dreyer, "Jeanne d'Arc" (encore un chef d'oeuvre !),Ý était projeté
avec une improvisation à l'orgue en direct de Thierry Mechler qui
avait réussi un tour de force vraiment remarquable (une improvisation
non-stop de plus d'une heure trente, et constamment inspiré, chapeau
!). Espérons que le Festival de Laon nous convie à d'autres
expériences de ce type, vraiment originales et passionnantes.
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(1) Si on veut se faire une idée
de l'association des images d'Eisenstien et de la musique de Prokofiev
réenregistrée de nos jours,
Pierre-Emmanuel
Lephay
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