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VERSAILLES
22/09/06
Hervé Niquet © Nicole Bergé
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Proserpine
Tragédie lyrique (1680)
Livret de Philippe Quinault (1635-1688)
Salomé Haller, Proserpine (dessus)
Blandine Staskiewicz, Aréthuse (bas-dessus)
Stéphanie d'Oustrac, Cérès (bas-dessus)
Cyril Auvity, Alphée (haute-contre)
François-Nicolas Geslot, Mercure (haute-contre)
Benoît Arnould, Ascalaphe (basse-taille)
Marc Labonnette, Jupiter (basse-taille)
Joào Fernandes, Pluton (basse)
Le Concert Spirituel
Direction : Hervé Niquet
Vendredi 22 septembre,
Manège de la Grande Ecurie, Versailles.
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Proserpine... d'équidé
Admirable salle que le manège de la Grande Ecurie plus
habitué au galop des chevaux qu’aux sonorités
d’un orchestre à la française ! D’une
simplicité recherchée, la salle, tapissée de bois
brut, est illuminée par des lustres argentés en forme de
feuillages ronds, dont l’éclat se reflète sur
quatre baies vitrées qui se font face. A droite et à
gauche, des esquisses de chevaux envahissent les murs nus, où se
distingue la saignée non recouverte du système
électrique. Au fond, une grande porte au tympan
décoré d’un autre cheval, rappelle
l’admirable décor extérieur des trois chevaux
bondissants voulus par Hardouin-Mansart.
Le concert débute par une cruelle déception : comme
l’année dernière à la Cité de la
Musique - et cela avait d’ailleurs provoqué un
début de mutinerie très pittoresque - ou lors de son Persée
de Toronto, Hervé Niquet, en bon chirurgien militaire, a
amputé la tragédie-lyrique de son beau Prologue à
la gloire du Roi-Soleil. Si ce morceau de propagande reste difficile
à mettre en scène, sa disparition est d’autant plus
regrettable que l’opéra est donné en version de
concert, et que la musique en est fort belle. En outre,
l’ouverture est abordée de façon sèche,
rapide et heurtée, et l’une des parties lente avec les
notes inégales est omise de façon tout à fait
incompréhensible ! Comme le dirait Hamlet, il y a quelque
chose de pourri au royaume de Pluton… L’auditeur se trouve
donc projeté brutalement au milieu des péripéties
du premier acte en deux coups d’archet à Pau.
Heureusement, cette première impression peu flatteuse se dissipe
au fur et à mesure de la représentation. Certes,
l’intrigue est un peu légère et se
résume à l’enlèvement de Proserpine par
l’amoureux Pluton, au grand désespoir de la mère de
ladite nymphe, Cérès, qui soupire également pour
Jupiter. Les amours d’Alphée et d’Arethuse servent
d’intrigue parallèle avec les classiques étapes de
l’insensible beauté qui cède finalement aux ardeurs
de l’amant constant. Malgré le talent de Quinault et ses
abondantes maximes ( « C’est déjà
ressentir l’amour / Que de commencer à le
craindre » [I, 3] et autres « Que notre vie /
Doit faire envie ! / Le vray bonheur / Est de garder son
cœur. » [II, 8] ), le livret a bien du mal à se
hisser au niveau de Roland ou d’Armide que les contemporains comparaient aux écrits de Racine.
Côté distribution, Stéphanie d’Oustrac campe
avec force et panache une Cérès plus proche cependant de
Rossini que de Monsieur de Lully. S’abandonnant à de
grandes envolées belcantistes, elle oublie parfois que la
tragédie lyrique à la française est avant tout du
théâtre chanté, mais émeut
profondément avec sa lamentation de l’acte III
scène 7 « Oh malheureuse
mère ! ». Salomé Haller est parfaite en
Proserpine, en dépit d’aigus un peu pincés. De son
ariette « Le vrai bonheur » (II, 8)
ornementée avec art à son duo avc Pluton (IV, 1), la
soprano révèle un chant naturel et nuancé. Son
époux Pluton ne démérite pas et Joào
Fernandes a tout d’un grand Commandeur échappé de
chez Don Juan. Graves
profonds et puissants, stabilité dans l’émission,
arrogance et grandeur caractérisent l’irrésistible
et terrifiant Dieu des Enfers. Pour le reste de la distribution, la
nymphe de Blandine Staskiewicz manque un peu d’innocence et de
grâce du fait de son timbre trop corsé, mais on ne peut
lui reprocher son inspiration et sa conviction. Une voix blanche et
claire, presque sans aucun vibrato
comme celle d’Agnès Mellon eut mieux convenu pour les
rôles qui lui sont confiés. François-Nicolas Geslot
est excellent en Mercure, Cyril Auvity bien falot et peu
compréhensible en Alphée à l’émission
pressée.
La direction vive et souple de Niquet privilégie le beau son
« français », fruit d’un savant
dosage de la grande famille des violons (dessus, taille, quinte et
basse) et des bois. On saluera en particulier, la sonorité
chaude et grainée des bassons : le Concert spirituel en
formation des grands jours possède bel et bien l’ampleur
nécessaire pour la musique du Surintendant florentin.
Cependant, il manque à cette Proserpine une once de
poésie, et un souffle évocateur pour pallier
l’absence de grande scène centrale (tels les sommeils
d’Atys, la mort d’Alceste ou la Passacaille d’Armide).
Et surtout, Hervé Niquet a pratiqué des coupes sombres
dans les danses (si l’on se réfère au manuscrit
Ballard 1680), pourtant essentielles à l’équilibre
de la tragédie lyrique, rendant l’œuvre assez aride.
De plus, si les ritournelles sont superbement
interprétées, de même que les chœurs (ah, ce
royal « Célébrons la victoire du plus puissant
des Dieux » I, 8), les nombreux récitatifs laissent
à désirer. Les vers de Quinault attendent en vain des
ralentis, des soupirs, des hésitations, des respirations ;
en un mot, de la vie.
Dépourvue de la noble pompe de Christie, de la
spontaneité de Malgoire ou de l’élégance de
Rousset, cette Proserpine
n’étale pas vraiment ses richesses et les plutôt
laisse deviner. Et lorsque retentit le martial chœur final,
accompagné par d’éclatantes trompettes naturelles,
on ne peut s’empêcher de ressentir
l’éphémère malaise d’une
tragédie presque inachevée, d’un drame
gastronomique sur lequel on s’est trop vite
précipité, et que l’on a dévoré sans
prendre vraiment le temps d’en goûter toutes les subtiles
saveurs. Espérons que le futur CD de Glossa comprendra
l’intégralité des parties manquantes, quitte
à les réenregistrer en studio.
Viet-Linh NGUYEN
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