Dernière
oeuvre au programme de la saison 2004/2005 à l'Opéra d'Avignon,
I Puritani est proposée dans la version coproduite avec les
opéras de Marseille, Liège et Washington, et qui avait déjà
été présentée en terres avignonnaises en 1999.
Au plaisir de revoir une réalisation très soignée,
s'ajoute celui de découvrir une distribution qui, hormis Marc Laho,
est entièrement nouvelle et ne comporte que des prises de rôle.
On a donc retrouvé l'élégant
décor unique composé de rampes obliques formant les gradins
d'accès à la forteresse de Plymouth, forteresse aux soubassements
de briques disposées en chevrons et soulignées de parements
de marbre, avec en fond l'immense grille de ferronnerie aux motifs végétaux.
Protagonistes et choristes ont revêtu les élégants
costumes d'époque, les Puritains de cette version ayant peut-être
renoncé aux ornements mais pas à la qualité des velours
et satins. Des éclairages zénithaux placent les protagonistes
dans une lumière qui semble être celle du Dieu témoin
de l'histoire des hommes auquel les partisans de Cromwwell proclament leur
soumission.
Revue par Charles Roubaud lui-même,
la mise en scène semble avoir gagné en vigueur dans les mouvements
d'ensemble et veille toujours à laisser les solistes délivrer
leur chant en fonction de la situation dramatique, sans les mettre en difficulté
par des exigences gratuites.
© Opéra d'Avignon
Grande attente, donc, autour des chanteurs,
à commencer pour l'enfant chérie du public avignonnais, Inva
Mula, dans le rôle d'Elvira. A en juger par les acclamations qui
l'ont saluée au moment des saluts, il ne lui a pas tenu rigueur
des tenues de note abrégées au premier acte et des suraigus
éludés au troisième, mais a su apprécié
la composition d'un personnage crédible et émouvant, ce qui
ne constitue pas une surprise de la part de cette grande professionnelle
au magnétisme reconnu. La prestation vocale reste très satisfaisante
pour ce qui est de la clarté de l'émission, de l'homogénéité,
de la ductilité et des sons filés. Les prudences constatées
relèvent-elles d'une fatigue passagère - on parlait de bronchite
à peine surmontée - ou sont-elles le prix à payer
pour avoir abordé un répertoire plus tardif où le
poids de l'orchestre sollicite la voix jusque dans ses limites ?
Nona Javakhidze, cantatrice d'origine
géorgienne et déjà entendue dans Otello à
Orange, est Enrichetta. Maintien noble à souhait, belle projection,
mais quelques sons poitrinés sans nécessité. Le prétendant
évincé d'Elvira, Riccardo, est incarné par Dario Solari,
baryton d'origine uruguayenne. Grand, imposant, il manque un peu d'élégance
; à tout prendre, c'est aussi bien, c'est peut-être pour cela
que ce guerrier un peu pataud n'a pas séduit Elvira. Mais cela se
ressent dans le chant, qui tend à s'engorger dans les passages de
force. Dans le duo avec Giorgio, l'oncle d'Elvira, la recherche de l'équilibre
estompe ce défaut.
Giorgio a les traits juvéniles
de Mirco Palazzi, vieillis par un maquillage adéquat. Doté
d'une voix de basse sans lourdeur et sans recherche d'effets, avec une
extension notable dans l'aigu, il confère du relief au personnage,
digne et compréhensif.
Jean Teitgen, dans le rôle du
père d'Elvira, et Christian Jean, dans celui du confident de Riccardo,
donnent efficacement la réplique à leurs partenaires.
Arturo, le partisan des Stuarts, qui
a conquis le coeur d'Elvira, est un des rôles de ténor les
plus ardus, sollicitant volontiers l'extrême aigu. Après un
premier acte où l'émission hésite entre la voix de
poitrine et le fausset et où l'agilité laisse à désirer,
Marc Laho se reprend au troisième acte, assumant alors sa partie.
Les choeurs, considérablement
étoffés, surmontent le handicap engendré par la distance
qui, souvent, les sépare de la fosse et participent à l'action
avec la vigueur, l'expressivité et l'homogénéité
souhaitables.
Et l'orchestre ? Admirable surprise
que la direction de Marco Balderi, remplaçant Giuliano Carella initialement
annoncé. L'orchestre d'Avignon n'a probablement jamais chanté
de cette façon ; car c'est bien la merveille de cette représentation
: l'orchestre n'est pas un faire-valoir des chanteurs, un tapis à
fouler ou un adversaire à affronter, mais un partenaire à
part entière, soliste lui aussi et contribuant de ses divers pupitres
à la création de ces cantilènes enivrantes qui font
l'envoûtement bellinien. Il ne fut sans doute pas évident
pour les musiciens de se plier aux exigences du chef, mais le résultat
est là, une fosse mélodieuse du début à la
fin, sans le moindre dévergondage, un véritable délice
et une justice enfin rendue à cette belle partition. Pour cela aussi
- et peut-être surtout - ces Puritani resteront un grand souvenir.
Maurice SALLES