Mettre
en scène le belcanto... Vaste programme !
Mettre en scène le belcanto
! Vaste programme qui semble n'être l'apanage que des seuls grands
metteurs en scène. A Berne, défavorisés par une mise
en scène (Lorenzo Mariani) conventionnelle et sans grande invention,
une direction d'acteurs quasi inexistante, les chanteurs sont souvent livrés
à eux-mêmes. On comprend mal le choix du réalisateur
de transposer son action au temps de la Première Guerre Mondiale,
d'autant plus que seules les deux premières scènes se réfèrent
à cet instant de l'Histoire. Le décor étriqué
(William Orlandi) de tranchées boueuses du début de l'opéra
frise le ridicule. Plus tard, la scène s'ouvre heureusement sur
un plateau légèrement incliné, traversé d'une
inexplicable rigole (piège à entorses des chanteurs !) Un
plateau qui sera tour à tour le salon d'un château ou un champ
de bataille sur lequel la neige tombe. C'est dans une ambiance de blessés
rampants et sanguinolents pathétiquement comiques, qu'Elvira et
Arturo vont finalement se retrouver. Ces retrouvailles donnent alors lieu
à une résurrection miraculeuse de tous les mourants qui,
joyeusement, célèbrent la réunion des amants sous
une incongrue pluie de pétales de roses tombant des cintres. Sans
commentaires !
Les références tant discographiques
que scéniques de I Puritani ne manquent guère. C'est
donc un immense défi que de programmer une oeuvre aussi magistrale
au sein d'un opéra de troupe. Principalement à cause de la
faiblesse du plateau vocal, la production bernoise ne s'élève
jamais au niveau de ses espérances. Si l'Opéra de Berne avait
fait appel à quelques "renforts" pour les rôles principaux,
ils se sont avérés pour la plupart mal préparés.
A commencer par Francesco Ellero d'Artegna (Sir Giorgio) au chant et au
phrasé approximatifs. Souvent en décalage avec l'orchestre,
sa grande expérience des plateaux d'opéra le sauve de l'accident
musical. Dommage, parce que la voix est fort belle.
© Opéra de Berne
Contrairement à son collègue,
Zeljko Lucic (Sir Riccardo Forth) tient bien son rôle. Il offre de
bons moments de belcanto, quand bien même un certain manque
de sensibilité musicale l'empêche d'approfondir son personnage.
Excellent quand il peut chanter en force, il s'est taillé un succès
mérité auprès du public à l'issue de la scène
finale du second acte, alors qu'il lance son vigoureux "Suoni la tromba".
Les contre-ut et autres prouesses vocales demandées à la
partie de ténor dès les premières mesures de la partition
semblent paralyser Mario Zeffiri (Lord Arturo Talbo). Ainsi, son "A te,
o cara" ne jouit-il pas de toute la décontraction vocale auquel
l'auditeur aspire dans cet air de bravoure. Il faudra attendre le troisième
acte pour que le ténor grec se sente libéré des contraintes
que lui imposent son rôle et exprime de belle façon son amour
retrouvé.
Vocalement, la vedette revient à
la soprano Corinna Mologni (Elvira) qui occupe la scène avec brio.
Digne des plus grandes sopranos qui, actuellement, osent s'attaquer à
ce rôle mythique, elle empoigne crânement chaque instant de
cette partition avec une aisance étonnante. Se donnant sans compter
à son emploi, elle n'arrive néanmoins pas à le dominer
jusqu'aux dernières mesures de l'opéra. En effet, la probable
fatigue d'un rôle exigeant restreint ses ardeurs vocales et elle
termine sa prestation avec des suraigus quelque peu forcés et détimbrés.
Toutefois, sa grande scène de la folie du troisième acte
reste saisissante d'engagement théâtral et lyrique.
Il serait vain de fustiger les réserves
émises sur le plan vocal sans relever la désastreuse direction
d'orchestre d'Alberto Zedda. Elle contribue grandement aux problèmes
des chanteurs. En effet, dès les premières mesures, la nervosité
et l'inefficacité gestuelle du chef italien font "flotter" l'orchestre,
souvent en décalage avec les solistes. De plus, l'extrême
lenteur de quelques tempi déstabilise les interprètes
qui ne retrouvent plus la ligne du chant bellinien si naturelle à
la respiration.
Jacques SCHMITT
Prochaines représentations : les
11, 15 et 22 janvier et les 19 et 22 mars 2005